East of Eden est une saga de 600 pages bien tassées sur la vie de deux familles dans une vallée de Californie au début du siècle dernier. Le genre de bouquin que l'on appréhende de commencer, mais dont on voit la fin se rapprocher bien trop vite tant on y est bien...


La première chose que l'on remarque, c'est la beauté du texte. Steinbeck , je le connaissais par Cannery row ou Tortilla flat, mais je ne me souviens pas d'avoir été à ce point impressionné par la plume de cet auteur. Tout est superbement décrit dans East of Eden, des paysages désolés et changeants de la Vallée de Salinas, de l’historiographie des divers ancêtres, jusqu'à la psychologie complexe de chacun des personnages. L'écriture de Steinbeck respire largement, les phrases, les paragraphes les mots, tout est dosé à la perfection. Je ne sais pas si Steinbeck était un écrivain torturé à la Flaubert, mais son écriture est tout aussi belle, ne tombant jamais dans la facilité, évitant l'emphase (les auteurs américains sont, de toutes façons , de grands conteurs)...


L'intrigue du roman est d'une belle ambition très bien maîtrisée. Raconter le destin de deux familles (une riche, une pauvre) sur plusieurs générations pourrait donner lieu à un interminable jeu d'anecdotes pseudo historiques, mais Steinbeck évite tous les pièges de ce genre de récit. On touche bien à l'Histoire américaine ( les guerres indiennes, la modèle T, la Première Guerre...) mais on ne quitte jamais le domaine intime des personnages et plus que le souffle épique, c'est l'écho d'un vieux conflit biblique qui tisse ces destinées. Steinbeck laisse s'immiscer dans son récit une touche philosophique, qui élève presque cette fresque vers le registre de la fable. Certains personnages semblent porter en eux des archétypes, comme Cathy, image du Mal, ou Samuel, à la sagesse de Bouddah, ou encore les fils Caleb et Aron, ces avatars modernes de Abel et Cain. Passionnant.


J'ai adoré les chapitres du roman qui décrivent la vie de la famille Hamilton, installée sur une terre ingrate, mais qui semble invincible dans leur recherche du bonheur et dont tous les membres donnent lieu à des portraits touchants. Les tribulations de la tribu Hamilton , avec ses faiblesses et ses grandeurs, ont sans doute fait vibrer en moi mon côté "Petite maison dans la prairie" :-)
En contrepoint, la famille Trask , quoique plus fortunée, est elle sous le coup d'une malédiction quasi-biblique qui les rattache au destin des premiers fils de Adam et Eve. Leur histoire est bien plus brutale, liée qu'elle est à un personnage maléfique, psychopathe dénuée d'émotions , incarnation d'un Mal presque absolu au sein de cet Eden. Heureusement la famille trask comporte aussi mon personnage favori, Lee, cet immigrant chinois bibliophile, qui parle comme Shakespeare quand on ne l'écoute pas et un pauvre créole asiatique quand on lui parle. Lee et Samuel, sont les porte-paroles de la sagesse de Steinbeck dans ce livre, un mélange d'athéisme et d'humanisme au sein de la fresque biblique. Etonnant.


Beaucoup d’émotions dans ce gros roman, touchant et brutal à la fois, qui traite pourtant son lecteur avec gentillesse, lui livrant les clés de son message avec clarté (c'est le rôle de Lee de nous décrypter l'histoire des Trask et des Hamilton et la voix même de Steinbeck se fait entendre par moment). Sa lecture est comme un de ces flash-floods californiens : impossible de résister au flot. A lire, absolument.

nostromo
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le 16 juin 2016

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nostromo

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