Père Pullman, raconte moi une histoire !

Cette trilogie a un statut culte pour beaucoup. Elle est une mine de réinterprétations de mythes antiques ou religieux pour certains. Elle est décousue ou inégale pour quelques uns. Pour moi, c'est surtout une putain d'histoire !

Le souffle romanesque est irrésistible, les thèmes abordés colossaux : des mondes divers entrent en guerre pour le contrôle du libre arbitre et de la possibilité laissée aux êtres humains de commettre des erreurs. La lutte de l'intégrisme contre la bienveillance, l'assaut mené par des forces ecclésiastiques fanatiques contre les "mondes libres". Le combat furieux mené par quelques visionnaires quasi mégalos, mais surtout par des idéalistes qui renient tous d'une façon ou d'une autre leurs principes ancestraux pour former des alliances improbables. Tout y est ! La puissance lyrique souffle le lecteur.

Cette quête initiatique suit la jeune Lyra, héroïne parfois actrice, souvent observatrice impuissante de ce tourbillon infernal. C'est la "coming of age story" ultime : découvrir le sens de "devenir adulte" , le poids de la responsabilité personnelle, le fait que chaque action porte des conséquences, apprendre que l'on ne contrôle pas notre environnement... Le tout au travers des yeux d'une gamine malpolie de 12 ans... Tout un programme.

Les personnages ont une profondeur insondable. Les "méchants" sont souvent attachants et les "gentils" sont souvent faillibles, beaucoup d'ambivalence, et le manichéisme de façade laisse assez vite place à quelque chose de plus intéressant. L'un des postulats de départ du monde quasi steampunk dans lequel commence l'aventure est que l'âme de chacun est animalomorphée : des daemons, créatures adoptant à l'adolescence une forme finale après avoir évolué pendant l'enfance, accompagnent tout au long de leur vie les habitants du monde de Lyra et agissent tel un Jiminy Cricket puissance 1000. Cette trouvaille rajoute à elle seule une profondeur incroyable à l'histoire.

Et c'est sans doute là la prouesse de Pullman : tisser un monde à la fois cohérent et explosé. Des repères familiers côtoient des concepts complètement perchés sans que je n'aie trouvé ça louche plus d'une ou deux fois. Tout semble couler, c'est fluide, presque limpide. L'écriture est précise et agréable.

Au final on pleure, on enrage, on vit avec les personnages, mais surtout, on lit le chapitre suivant, même s'il est déjà 1h30 du mat' et qu'il y a école demain...