Un roman mineur de Wilson, mais agréable tout de même.

Sans doute marque t-elle la fin de la guerre froide, mais 1989 est vraiment une mauvaise année pour Tom Winter. Il perd sa femme, son job et sombre dans l'alcoolisme, jusqu'à ce que son frère se sente forcé de le tirer du gouffre et de le pistonner pour un job dans sa concession automobile : de Seattle il retourne alors vers sa petite ville natale de Belltower, Nord-Ouest des Etats-Unis, et y achète une maison. Banale. Loin de tout.
Ce qu'il ne sait pas, c'est que celle-ci n'aurait jamais dû être mise en vente; et surtout, qu'elle renferme des secrets qu'il aurait pu ne jamais découvrir.

Depuis Spin en 2006 (2007 en France, et le roman est critiqué sur ce site même), Robert Charles Wilson est devenu un auteur de science-fiction vraiment reconnu; il le mérite amplement, et à ce titre on ne taxera pas les éditions Denoël (collection Lunes d'Encre, spécialisée dans les « gros volumes de SF en général choisis avec bon goût, un flair certain, et traduits consciencieusement ») d'opportunisme pour avoir publié un inédit de l'écrivain datant de... 1991.
Heureusement, A Travers Temps (originellement A Bridge of Years) est un de ces récits sur lequel le temps n'a pas prise : il n'a pas ou peu vieilli car il dépeint davantage le passé (de 1989) que le futur (qu'il laisse volontairement assez flou, vague) et ne se perd pas en conjonctures hasardeuses sur la teneur de l'avenir. De plus, il se situe dans un courant plaçant les personnages au cœur de l'histoire en faisant finalement peu de cas de la « science » : l'important se situe dans l'intrigue (car le tout est agencé comme un thriller, fait assez inhabituel chez Wilson), et dans le ressenti de Tom et des autres protagonistes.

Ici, contrairement à Spin et Axis (sa suite récente), pas de monde en danger (ou si peu), pas de programmes gouvernementaux démesurés, pas d'incompréhensibles phénomènes extra-terrestres : à tout moment le roman reste proche du réel tel que nous le connaissons, reste très simple à concevoir. Il aurait en fait presque sa place – sans un cloisonnement stupide des catégories de la production littéraire – dans des rayons grand public; on peut comprendre cela comme un manque d'ambition de la part d'un auteur qui plus tard n'hésitera pas à faire disparaître des continents entiers de la surface de la Terre (Darwinia, 1998), mais il ne s'agit pas d'un roman de gare pour autant (ou alors d'un excellent roman de gare).
Le rythme est maîtrisé et rapide (il entrecroise les points de vue de manière à maintenir un certain suspense), même si on pourrait regretter un prologue qui gâche un peu la surprise (le lecteur en sait constamment plus que Tom), le style de Wilson est fluide, un peu mélancolique, et donne de la profondeur aux différents personnages qu'il décrit. Il se prête même parfois à de bon mots mémorables (comme l'assez fameux « Il se reprocha toutefois aussitôt de s'apitoyer ainsi sur lui-même. Le défaut caractéristique de la solitude. Comme la masturbation, il s'agissait de la parodie d'une activité qu'il valait mieux pratiquer à plusieurs« ), et surtout il parvient aisément à rendre crédible l'impossible, et mieux, à nous le faire accepter comme un élément du quotidien.

C'est en définitive un roman mineur, mais très agréable. Il pose les bases de recettes qu'emploiera ensuite beaucoup Wilson, mais qui fonctionnent toujours – d'autant qu'elles sont bien utilisées. Et prouve que l'on tient définitivement là un des meilleurs écrivains actuels en la matière, à mon humble avis, de la trempe d'un K.Dick ou d'un Simak.
Kalès
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le 22 août 2010

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