The Asimov Data Set

Il faut tout d’abord rappeler le contexte dans lequel Isaac Asimov rédige cette nouvelle. En 1951, l’UNIVAC I (qui inspire Multivac à Asimov) est le premier ordinateur commercialisé aux Etats-Unis. Celui-ci prédit la victoire d’Eisenhower à l’élection présidentielle de 1952 en s’appuyant sur un échantillon de 1% de la population votante. Cette prévision s’avèrera exacte alors que les commentateurs politiques de l’époque annoncent Stevenson grandissime favori.

A l’aide de ce court récit d’anticipation, Asimov répond à la question de savoir ce qu’il adviendrait si la logique inhérente aux sondages était poussée à son paroxysme. Il pointe ainsi du doigt l’importance considérable qu’avaient commencé à prendre, à son époque, les enquêtes d’opinion et les experts en la matière. En effet, si les sondages sont initialement développés comme un outil d’aide à une meilleure compréhension de l’état d’esprit général d’une population, dans A voté, ils deviennent, par l’intermédiaire de Multivac, la source d’autorité unique qui détermine du début à la fin le sort de l’élection. La conclusion du récit est d’ailleurs on ne peut plus ironique : par l’intermédiaire de Norman, « les citoyens souverains [ont] exercé une fois de plus, librement et sans contrainte, leur droit électoral » (p. 45).

A côté de cet argument principal, la nouvelle d’Asimov nous fait également prendre conscience de deux autres aspects significatifs de nos systèmes électoraux actuels.

Premièrement, en mettant en exergue la crainte de Norman d’être désigné responsable de l’issue de l’élection et le mérite qu’il en retire une fois le processus arrivé à son terme, Asimov souligne la responsabilité morale attachée à l’action même de voter. Si ce "poids moral" du vote est bien entendu beaucoup plus fortement ressenti par l’électeur lorsque le corps électoral se compose d’une seule personne, il n’en est pas moins présent dans nos systèmes électoraux actuels. Certains chercheurs comme Raymond Boudon ("Le 'paradoxe du vote' et la théorie de la rationalité »), y ont d’ailleurs vu une réponse potentielle au célèbre paradoxe du vote énoncé par Anthony Downs ("An Economic Theory of Democracy").

Deuxièmement, la figure de Matthew (le seul protagoniste de ce récit à avoir connu l’ancien système électoral) fait apparaitre en contre-point une société dans laquelle les individus ont totalement incorporé ce nouveau système, à un point tel qu’ils ne sont plus capables d’en imaginer un autre. Ce faisant, Asimov souligne la nécessité de porter continuellement un regard critique sur la manière dont le système électoral fonctionne, sur les dispositifs qui le rendent possible et le rôle que ceux-ci jouent dans le résultat final obtenu ; véritable programme pour une sociologie de l’acte de vote.