Alexis ou le traité du vain combat
Ma lecture a commencé par une surprise, un préface de l'auteure qui m'a un peu déroutée. Sans doute étais-ce de la jalousie, il m'est interdit dans mes études de spéculer sur le caractère de tel ou tel personnage tandis que l'auteure, elle, peut le faire à loisir, établir une psychologie mais là encore ma remarque est stupide, si elle n'avait eu nulle idée du caractère de ses personnages comment aurait elle pu ordonner leurs actions? Le personnage, quant à lui, me laisse rêveuse. Un personnage profondément romantique, ayant grandi dans la tristesse et l'austérité, ne tirant de joie que de la musique et de l'affection discrète des membres féminins de sa famille. Mais là encore une grande retenue, expliquerait-elle l'impulsivité de certaines de ses actions, sans être satisfaisante cette cause a ses mérites, un enfant timide a, quand il grandit, ses fulgurances et, additionnées à l'attrait nouveau de la chair se retrouve dans des situations que jamais qui que soit n'aurait imaginé pour lui. Je ne suis pour ma part pas étrangère à ce genre de pulsions mais ne peut qu'imaginer la répétition d'actes qui causent tant de peine à celui qui les perpétue. Je comprends en revanche la thèse que Marguerite Yourcenar rejette partiellement, qui est celle de l'impossibilité de trouver un plaisir physique dans une relation amoureuse, la nécessité d'aller chercher un corps étranger que l'on ne reverra pas. Mais il n'est en fait pas question d'amour, plutôt d'affection et si l'orientation sexuelle n'est pas de ces choses qui se décident par opposition au milieux que l'on veut garder sacrés, elle peut peut-être guidée, dans le choix des partenaires, pas dans leur sexe ceci dit, par un besoin de compartimenter ses sentiments car le cumul peut être difficile à appréhender pour certains. L'obsession de la perfection, artificielle et personnelle ou institutionnelle et séculaire pèse lourdement sur le personnage qui est pris entre son envie de succomber à ses pulsions sexuelles et l'envie, qui finit par disparaître partiellement, de créer des espaces sacrés où le corps ne fait pas loi. La passion d'Alexis pour la musique rejoint, à mon sens, la manière dont il sanctifie Monique car les rapports charnels n'y sont dans les deux cas que bénins ou nimbés de camaraderie et de tristesse. Ces rapports sont éminemment artificiels car, en l'absence d'une réponse de Monique, qui a tout aussi bien pu jeter la lettre après en avoir lu les premières lignes, nous empêche de cerner son véritable caractère.
On ne peut que voir Alexis retracer l'histoire de ce qu'il considère comme un vice et qu'il semble, au fil de la lettre, accepter comme une nécessité du corps dont l'âme, aussi pures soient ses aspirations, ne peut se défaire.
La question des paysages se pose également, ils semblent avoir une influence, ou du moins des correspondances, avec l'état d'Alexis ce qui est, on l'a dit, très romantique. Les horizons froids et gris ont formé, selon lui, son caractère introverti et sa mélancolie. Mélancolie dont il ne sort que pour entrer, en allant à la ville dans une agitation des sens et des nerfs. Agitation qui le suivra dans sa retraite dans la maison de famille et laissera une trace indélébile dans sa conception des rapports sexuels. La découverte qu'il y a faite éveille en lui des sentiments contradictoires que désormais ni la morne campagne ni la compagnie tranquille des femmes de la maison ne peuvent calmer. Malgré tout, cet élément féminin hante toute la lettre, si les hommes n'y ont pas de visage ou de nom, est-ce par pudeur, les femmes abondent et orientent la destinée d'Alexis, déterminent son mariage, son succès.
Il en fait l'histoire en parallèle de celle de ses découvertes masculines mais on peut se demander pourquoi il tient tant à refaire l'histoire de ce qu'il appelle ses vices. Outre la volonté, pour l'auteure, de donner à voir la vie de son protagoniste, Alexis semble avoir un but mais celui-ci reste nébuleux. Il dit ne pas vouloir être pardonné mais compris, mais il ne cesse de trouver dans ses comportements des excuses, dans sa sexualité aussi bien que dans la décision qu'il prend de se séparer de Monique. Car en les expliquant de la sorte, il semble tenter de rendre ses comportements inexorables. De même, en sanctifiant sa femme, il creuse entre eux un fossé qui justifie la séparation. Il se classe ainsi du côté des âmes perdues et embrasse peu à peu cette qualité, mais non sans avoir exprimé ses diverses phases de remords, de privation et de contrition ce qui créé un portrait ambigu du personnage, qui tantôt est un homme en quête de salut et semble vouloir que sa femme lui pardonne et le supplie de revenir, tantôt accepte ses penchants et ne s'en repend pas tant qu'il pense en avoir compris la cause.
Le dilemme moral auquel il fait face, bien que les formes en aient changé, pourrait tout aussi bien se poser aujourd'hui et, à la lumière des études récentes sur la sexualité, ses tenants et ses aboutissants, est d'une certaine actualité. Marguerite Yourcenar elle-même revient, des décennies plus tard, sur la thèse que certains ne peuvent entretenir des relations sexuelles qu'avec des personnes pour lesquelles ils n'ont qu'une tendresse tout au plus modérée.


Le Coup de grâce
En littérature, on voyage, mais est-on toujours prêt pour ce pas vers l'inconnu, a-t-on dans son bagage les outils nécessaires à l'appréhension d'un monde nouveau sinon différent ? Armée de mes quelques lectures de l’œuvre de Marguerite Yourcenar, je me sentais prête à apprécier cet ouvrage, de plus, une préface m'en faisait assez bien l'analyse. Mais comment se fait-il que j'aie été plus à l'aise dans le monde médiéval de l’œuvre au noir que dans le XXe siècle ? Peut-être est-ce ma répugnance à jongler entre une certaine proximité temporelle et un éloignement géographique et culturel rude. Car c'est bien de la dureté qui ressort de ce récit après une première lecture, dureté que modère Yourcenar en pointant les failles dans la carapace d'Eric Von Lhomond, ses précautions et son inhumanité qui frise la caricature. Et c’est le genre de détails auquel on s'attache quand on n'a pour point de repère que les types romanesques. En lisant ce roman, j'ai appris et par la suite oublié partiellement l'existence et certains détails des conflits qui ont fait rage en Europe centrale dans l'entre-deux guerres. Peut-être n'en ai-je pas bien saisi la teneur et, puisque, l'auteure le dit, cette histoire est profondément ancrée dans un contexte.
Quelle ne fut pas ma surprise également quand je découvris la nature du triangle amoureux mais surtout le rôle absolument passif de Conrad. Il est un objet, un élément de décor, un prétexte parfois et se présente comme un personnage qui réagit plus qu'il n'agit. Sa présence est bien entendue centrale car elle est l'une des raisons qui sépare Sophie d'Eric mais plus le roman avance plus l'on se rend compte qu'il est pris dans une affaire qui le dépasse. Naïf, aveugle et surprenant dans les justifications paradoxales qu'il donne au départ de sa sœur, il est bien loin de l'époque où il se présentait comme un double d'Eric qui trouvera en un autre membre de leur régiment son pendant, aussi bien physique que dans sa relation houleuse avec Sophie.
Comme pour Alexis on peut s'interroger sur la nature de son orientation sexuelle car s'il refuse Sophie, il ne se prive pas d'aller voir une prostituée, est-ce là une manière de rester, ne serait-ce qu'un peu dans les clous ou bien, comme Alexis, sépare-t-il l'amour de la volupté ? Son image des femmes, comme Alexis avec Marie est faite de contradictions, il les tolère, couche avec elles mais leur trouve toujours suffisamment de défauts pour les abandonner sans peine. Mais avant d'abandonner il faut consommer et les raisons de son désamour pour Sophie restent quelque peu mystérieuses. Sans doute est-ce par égard pour Conrad, ou encore parce qu'il pense qu'une femme telle que Sophie ne peut être aimée que de tout cœur, ce dont il semble incapable avec n'importe quelle femme. Enfin, même si cette théorie est modérée par Yourcenar elle-même peut-être tire-t-il du plaisir de la voir se languir de lui, y trouve une supériorité analogue à celle qu'il possède dans le domaine militaire.

louiseg2112
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le 10 févr. 2020

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