Ce livre me rappelle fortement le Man in the dark de Paul Auster, un homme seul, livré à lui-même, vieux, qui s'invente des histoires que l'on peut rapprocher du thème de la guerre. J'y remarque aussi le souci d'Auster de détailler, autant les faits et gestes que les automatismes, ainsi on suit le bain du personnage, son passage au toilettes, son éjaculation. Mais malgré toutes ces précisions on ne sait trop se faire une idée du personnage, non seulement à cause de ses conduites ambiguës, sa constante oscillation entre l'enfance et le grand âge et surtout le curieux point de vue narratif. On commence par n'apercevoir que ses gestes, sa posture, puis l'on glisse vers ses pensées, de manière tout d'abord assez froide, des questions s'accumulent pour aboutir enfin à des sentiments et des souvenirs. Ces deux derniers objets sont d'ailleurs assez mystérieux, de sa vie Mr Blank ne se souvient que d'épisodes fragmentaires, muets et souvent lointains, puis soudain des souvenirs, des noms qui auparavant lui avaient échappé deviennent des évidences pour lui mais pas pour le lecteur. D'allusion en allusion on tente de se former une image de qui a pu être cet homme. Était-il l'homme froid qui envoyait à la mort des dizaines de victimes ou, celui qu'Anna pardonne et qui entrevoit leurs spectres dès qu'il ferme les yeux. Avait-il la force de caractère de confier une mission dangereuse à celle qu'il semble aimer ou n'est il que le gamin jouant sur son cheval en bois, infantilisé dans la prise de repas et marchandant pour toucher le corps d'une femme. Cette dichotomie du personnage n'est pas sans rappeler le rapprochement que l'on peut faire entre un enfant et une personne âgée, nécessitant tous deux des soins qu'un homme dans la force de l'âge refuserait.
Mais la caractéristique principale de l’œuvre est sa métafictionnalité qu'elle partage avec man in the dark, l'auteur rend compte de son processus créatif par le biais d'un personnage-auteur, mais là où travels in the scriptorium diffère de cet autre roman, c'est dans le niveau de narration supplémentaire qu'il y ajoute. Le personnage principal n'est que le protagoniste d'une histoire qui se situe entre l'auteur, Paul Auster et une figure narrative fictive, N.R. Fanshawe. Figure auctoriale qui, telle une entité divine, détermine le destin de Mr Blank. Mais ce destin, même à la lumière d'une nouvelle figure auctoriale, n'en demeure pas moins énigmatique. Pourquoi Blank est-il enfermé, où est-il ? La rencontre avec Quinn apporte quelques éléments de réponse à ces questions, mais leur conversation n'est faite que d'allusion à des événements dont, soudain, Blank se souvient, ainsi, un nom, une photographie éveille un souvenir dont la narration, au point de vue balançant entre interne et externe, ne rend pas compte. Mais cette rencontre peut nous amener sur une piste de lecture, évidente dira-t-on, mais probable. Blank se trouve dans une sorte de purgatoire où il doit s'absoudre de ses péchés, ou alors en enfer où il doit continuellement revivre la même journée, ce dont il a conscience à un certain degré puisqu'il affirme que dès le lendemain il ne se souviendra plus de rien.
La figure d'Anna serait elle là pour l'obséder, lui procurer des instants de plaisir qui ne rendront les moments de culpabilité que plus écrasants. Car elle est directement liée aux missions que Blank a ordonné mais, malgré leur intimité, place entre eux deux la figure d'un mari mort et procure du plaisir à Blank sans en tirer elle-même et avec une sollicitude presque maternelle. Mais certains détails dérangent dans cette explication, tout d'abord l'apparition du Dr Farr et celle de Quinn qui semblent vouloir faire avancer l'intrigue et ainsi créer un jour nouveau, différent. Un autre élément qui pourrait faire balancer l'analyse dans un sens ou dans l'autre est le traitement que prend Blank, est-il destiné à le faire oublier, à le torturer ou à le soigner ? Ce qui nous amène vers une nouvelle piste de lecture, tout aussi banale qui est celle de la folie, les caprices et les trous de mémoire de Blank prennent alors un sens et constitueraient les symptômes d'une forme de démence causée sans doute par l'envie d'oublier ses crimes passés. Le décor sobre de la chambre serait alors celui d'un milieu hospitalier. Ceci n'explique néanmoins pas les étiquettes, changeant de place rappelant à Blank quel est l'objet qu'il regarde, peut-être est-ce une précaution prise en prévention de son état de santé graduellement déclinant mais cela n'explique pas pourquoi elles sont mystérieusement changées de place. On peut y voir la démence encore une fois, ou une torture quelconque du milieu où il doit se purger de ses crimes en plongeant dans la folie. On peut aussi y voir le procédé, que l'on remarque à deux niveaux, des changements d'avis de l'auteur, arbitraire, du moins en apparence, pour les étiquettes, et délibérés chez Blank dans l'espoir de donner plus de cohérence à l'histoire qu'il se raconte.

louiseg2112
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le 25 avr. 2022

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