America America par polidjin
On n'oublie pas les personnes et les événements qui ont fait de vous l'homme que vous êtes aujourd'hui. Corey Sifter, lui, n'a jamais cessé de revenir aux événements dramatiques auxquels il assiste au début des années 1970, alors qu'il aide le patricien local à organiser la campagne d'un homme politique. De son écriture fine et sensible, Ethan Canin offre dans ce roman de coming of age, équivalent anglophone du roman d'apprentissage, une réflexion profonde sur l'Homme. Le portrait nuancé dessiné par Sifter de son entourage - notamment celui de son mentor - insiste sur la dualité de la nature humaine, où coexistent la volonté d’aider et la possibilité de faire du mal. Au-delà, c’est la politique qui est mise à nu dans cette histoire personnelle, brodée avec maîtrise sur un canevas de faits réels. Pour Sifter, fils de syndicaliste, les années 1970 ont signé le début de la fin pour les démocrates, et donc pour la "working class" dont il est issu. Si la situation a changé après le regain d’espoir qu’a occasionné l’élection d’Obama – le roman date de début 2008 –, ce témoignage du désenchantement démocrate qui frappa l’Amérique n’en reste pas moins juste. Mais une désillusion plus profonde traverse ce roman, et découle de l’affaissement d’un socle de la mythologie américaine : les fils des "self-made men" dénués de scrupules du début du XXe siècle tombent dans les mêmes travers que leurs pères, en essayant d’expier leurs fautes. C’est là la pente descendante du “rêve américain”, et ceux qui la dévalent hanteront à jamais les souvenirs des témoins de leur chute.
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