Journaliste : pourquoi lire Kant ?
SanFelice : quand on s'intéresse un peu à la philosophie (en dilettante, il faut bien l'avouer), il y a des noms qui paraissent incontournables, tant toute la pensée occidentale semble tourner autour d'eux. Aristote, Descartes, Freud. Et Kant. Il fallait donc lire Kant, découvrir sa pensée.

J. : et pourquoi ce livre précisément, qui n'est pas le plus connu ?
SF. : Kant attire mais fait peur également. Il a l'image d'un penseur ardu, aride, compliqué. J'avais ouvert La Critique de la Raison Pure. J'y ai vu un chapitre intitulé Analytique transcendantale. J'ai refermé tout de suite. Il fallait baisser le niveau.
Et puis, l'anthropologie, c'est une discipline qui m'intéresse. Alors, ayant l'illusion d'être dans un domaine connu, je me suis lancé.

J. : pourriez-vous nous dire de quoi parle ce livre ?
SF. : de l'homme, comme son nom l'indique. Le projet de Kant est de dresser le portrait de l'être humain à travers ce qui l'unit (désirs, peurs, passions, imagination), mais aussi ce qui peut le séparer (sexe, ethnies, etc).

J. : que reprochez-vous alors à ce livre ?
SF. : qu'il manque d'unité, pour commencer. Ce livre réunit différents cours donnés par le philosophe. Et il n'évite pas l'éparpillement.
Mais le reproche principal, c'est l'ennui. Ce livre est, en fait, une sorte de catalogue, une liste commentée. Les cinq sens. La connaissance sensible ou raisonnée. Les différentes ethnies. Les affects et les passions. Et on continue comme ça. L'ennui procède donc du manque d'unité relevé précédemment.
Kant est méthodique, précis, rigoureux. On ne peut que le louer pour cela. Mais sa manie du classement, des listes qui recensent les qualités et les défauts humains, transforme son livre en une sorte de fichier. ça manque de vie.

J. : mais il y a bien des qualités, quand même ?
SF. : évidemment. D'ailleurs, les qualités apparaissent dans les fissures, là où Kant s'éloigne momentanément de son projet, le temps d'une digression. C'est un livre où il faut viser les fêlures. C'est là que Kant abandonne le ton professoral de cours magistral pour se livrer.
On y voit d'abord Kant lui-même. Il nous parle de ses rêves d'enfants, de son mal de mer, etc. C'est presque émouvant de voir quelqu'un qu'on pourrait considérer comme un pur esprit et qui se livre ainsi.
Ensuite, c'est intéressant parce que ça dresse un portrait de l'époque, à savoir la fin du 18ème siècle. Avec son idée principale, celle des Lumières tant défendues par Kant : la liberté de l'homme. Une liberté qui est d'abord une véritable liberté de pensée, penser par soi-même, loin des carcans sociaux mais surtout affranchi de l'esclavage de nos passions et d'une nature humaine faible et trompeuse. Il faut que les hommes sortent de leur minorité pour devenir responsables, mûrs intellectuellement, c'est-à-dire utiles à la société et cherchant constamment le bien.

J. : il y a donc une dimension sociale à la philosophie de Kant ?
SF. : très importante, même. L'homme vertueux est celui qui est capable de faire avancer la société, celui qui lui est utile. Tout homme qui, pour une raison ou une autre, est asocial relève de la maladie. La sagesse, c'est savoir ce que l'homme peut faire (dans les limites de ses capacités) et ce qu'il doit faire (avec la vertu maximale en guise d'horizon).
Le bonheur, c'est quand l'homme prend du plaisir à faire ce qu'il doit faire.

J. : il prend ainsi le contre-pied d'autres penseurs qui l'ont précédé ?
SF. : en effet, et c'est là un des autres aspects intéressants de ce livre : la polémique. Tout au long du livre, Kant participe à distance à différents débats philosophiques. Il répond à Pascal, Hume ou Pope. Il renvoie certains à leurs idées farfelues. Il critique vertement la Terreur qui sévissait en France. Bref, on en ressort avec l'impression que cette époque connaissait une vie intellectuelle intense.

J. : est-ce difficile à lire ?
SF. : non. Kant va progressivement, il définit précisément chaque mot qu'il emploie (ne jamais se fier au vocabulaire : on croit connaître la définition d'un mot, mais le philosophe l'utilise avec un sens qui lui est propre). C'est fastidieux, mais pas compliqué.
Je le répète, son principal défaut, c'est l'ennui.
SanFelice
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le 3 nov. 2012

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