« Essayez de regarder. Essayez pour voir. »

Charlotte Delbo nous dépeint dans ce livre l’horreur des camps de concentration. Ces camps dont, justement, l’horreur est inexprimable. L’auteure adopte une démarche différente de celle d’autres rescapés. Primo Levi, par exemple, s’est employé à décrire d’une manière « clinique » et scientifique ce qu’il a vécu. À l’opposé, le livre de Charlotte Delbo s’adresse directement au cœur, aux émotions ; il allie le témoignage de l’Holocauste, thème infiniment complexe et délicat, à la littérature, particulièrement sous son angle esthétique.


Aucun de nous ne reviendra n’est pas un roman, pas plus qu’un récit à proprement parler, mais une suite de scènes isolées, de moments plus ou moins longs, à l’écriture plus ou moins travaillée.
Parfois, des retours à la ligne saccadent la lecture ; à certains moments, la ponctuation même fait défaut. Son style s’approche de la poésie plus que la narration. L’auteure ne décrit rien avec précision, mais se contente de nous montrer, de nous donner à voir… La soif, le froid, l’humiliation… Avec ce livre, Charlotte Delbo réussit presque à nous faire ressentir une infime partie de l’horreur et la souffrance qu’elle a vécues.
Des textes courts, nets, sont comme la résurgence d’une violence passée. Dans les plus longs textes, l’horreur est comme diluée, mais encore plus présente, plus malsaine…


Mais son écriture est aussi une provocation. Charlotte Delbo s’adresse au lecteur, pour mieux lui faire comprendre qu’il ne sait rien.


À plusieurs reprises, Delbo défie le lecteur d’oser regarder ce qu’elle met en face de lui : « Essayez de regarder. Essayez pour voir. ».


Elle le renvoie sans pitié à sa propre ignorance : « Ainsi vous qui croyiez », « Ô vous qui savez », vous qui savez… Votre connaissance ne servirait à rien dans les camps ; c’est un autre monde. Elle lui fait perdre tous ses repères, le bouscule.


Le chapitre « La soif » est un des plus remarquables. En le lisant, j’ai eu soif. Tout le monde peut dire ce que c’est que d’avoir soif. C’est banal. Mais on le sait, en lisant, que la soif qu’on peut imaginer est sans commune mesure avec la soif des camps. Et Charlotte Delbo le sait aussi. Ainsi donc, nous croyions savoir ce qu’était la soif. Mais ce n’est pas le cas.


Ce témoignage de Charlotte Delbo m’a profondément émue. Certaines scènes m’ont vraiment marquée, comme « La soif », qui donne immanquablement soif, ou encore « Le commandant », « La jambe d’Alice ».
Parmi les nombreux témoignages de rescapés de la Shoah, Aucun de nous ne reviendra est à lire absolument, ne serait-ce que pour sa façon inhabituelle de nous plonger au cœur de l’horreur.

Svanhildr
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le 11 janv. 2018

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