Le meilleur de Bergounioux.
La prose de Bergounioux est une merveille - mais employée, la plupart du temps, à des sujets anodins : la rivière, la Dordogne, l'enfance, les papillons... On peut apprécier (ce que je fais), mais on peut aussi trouver que tout ceci manque d'envergure.
Or là, ce style érudit, frémissant, précis et musical, prend pour objet la guerre. La vraie. Reconstituer les quelques instants où un énorme bombardier américain tombe, percé par un chasseur allemand. Bergounioux part de ces quelques images pour recréer un univers entier : le bruit des moteurs, la composition probable de l'équipage, le froid polaire en altitude, à laquelle il mêle des réflexions sur l'écriture de la guerre (Saint-Exupéry, Hemingway, etc.)
Le nouveau siècle qui s'avance est celui de la vitesse ; les jeunes Américains qui manient les tourelles du Shoo Shoo Baby ne le savent qu'inconsciemment, mais on devine tout, on perçoit le crime abstrait, abominable, de la guerre, le sang, les corps déchiquetés, le crash final.
Tout ceci a un petit parfum d'Illiade, et ce n'est pas de refus.
Lorsque j'en parlais à ma grand'mère, celle-ci m'avouait en toute simplicité qu'on entendait passer les B-17 G au-dessus de la "maison", en 1942, et qu'on "se demandait pour qui ça serait, cette fois-ci : Angers, ou Nantes..."
Un seul bémol : on eût aimé que Bergounioux employât plus souvent sa plume (la meilleure en France, actuellement) pour de tels sujets, d'une noblesse, d'une grandeur supérieure aux baignades entre frères dans près de Brive...
La postface de Michon est bien, mais sans surprise.