Badjens
7.3
Badjens

livre de Delphine Minoui (2024)

Badjens, de Delphine Minoui, c'est l'histoire d'une jeune Zahra qui naît et grandit en Iran sous le régime contemporain des mollah en Iran. L'autrice a expliqué avoir "exhumé leurs dernières traces de vie sur Instagram, X, les chaînes Telegram… puis avec un fil imaginaire, j'ai recousu toutes ces histoires et sous la forme d'un roman, je me suis glissée dans la peau de l'une d'entre elles". Alors à priori le roman reste une fiction, très inspiré de la réalité de la vie en Iran (et d'une certaine Lika Shaarani qui a enlevé son voile pendant une manifestation).


À la première seconde de la première minute de la première heure de lecture du livre, l'attente du lecteur est facilement deviné : un récit humaniste et féministe d'une jeune iranienne subversive qui fait face au patriarcat iranien. Un roman qui place son lecteur dans un confort moral que l'éditon française affectionne : pour s'émouvoir à bon compte au rythme des indignations que l'on a soigneusement choisi…


Le texte est il faut l'avouer, fin et soigné dans le lexique, avec la prétention d'être fidèle au décor iranien contemporain avec style. Il est par ailleurs rythmé en évènements et tensions internes (de Zahra) pour alimenter la narration.


En revanche le texte est calibré au millimètre près, met son public cible (le public plus ou moins humaniste occidental) dans un fauteuil en soie de satin sans jamais le bousculer comme si Delphine Minoui avait été entourée d'un ramassis de producteurs et éditocrates médiatiques. Ajoutez à cela les quelque tournures dignes d'une série Netflix déjà essoufflée depuis 3 saisons pour couronner le tout.

Le problème n'est pas que Badjens soit féministe, le problème est que ce féminisme soit exorcisé et confiné dans l'abstraction d'une "libération" qui s'épargne de la complexité. On aurait aimé de l'étrange, de la puissance de narration, un peu de décalage voire quelque chose qui heurte autrement que ce à quoi l'on adore se revendiquer heurté.


Zahra naît au sein d'une famille musulmane d'un père qui ne la voulait pas et d'une mère plutôt empathique et désabusée. Elle aurait pu être singulière et explorer la complexité de la société iranienne, mais elle devient Badjens, miraculeusement lucide dès l'âge de 7 ans (comme si l'aliénation n'existait pas) et composite à souhait. Badjens est le personnage type, Badjens se cuisine avec une dizaine d'ingrédients qu'il ne faut pas oublier pour s'assurer du rendu.

Et parmi ces ingédients, au moins arrachera une larme au lecteur donc autant tous les mettre.


Et ça se ressent dans le fil du roman : Badjens naît et n'était pas désirée par son père dès qu'il a appris son genre pendant l'échographie, son frère Mehdi est favorisé à son grand dam, Badjens va être oubliée pendant une incendie, Badjens va vivre les joies du Hijab imposé dès le début de sa puberté et le détester dès le début. Badjens va être défendue d'être coquette par son père, Badjens va tenir tête à son père qui la traite de salope et se faire baffer, Badjens va se faire imposer une fellation par son cousin vicieux à 12 ans, Badjens va se mettre à Tiktok et se faire une copine coréenne lesbienne etc.

L'exemple de sa première amourette est un cas d'école de scénario netflixien mis à l'écrit :

Un jour, en sortant du lycée, j'aperçois un beau gosse qui me mate sur le trottoir opposé. Ses grands yeux bruns ne me disent rien, mais il me fait signe de la main comme si on se connaissait. […]
Au bout de la rue, il finit par m'accoster :
- Salut !
Je pense, sans m'arrêter : qu'est-ce qu'il me cherche, celui là ? Comme si quelque chose de beau pouvait encore m'arriver

Et ils se fréquenteront, et il se séparera parce qu'elle ne couche pas, et elle pleurera dans les bras de sa mère. Et le roman est rempli de récits écrits comme des scripts et le format mi poème mi prose n'arrange rien. Le meilleur est quand l'audacieuse Minoui scripte les effets d'intériorité de manière larmoyante et s'achète du courage narratif en écrivant ses premières découvertes sexuelles avec une bonne dose de mécanique :

Dans le car, je chiale comme une madeleine […] En fait tout le monde dort sauf moi […] Sous mon tchador, ma main cherche un peu de réconfort. Elle glisse sur mon bas-ventre, descend jusqu'au pubis. J'aime la douceur que je ressens à cet. endroit précis, Le frisson ressenti lorsque mes doigts entrouvrent mes lèvres, explorent ce qu'il se trouve au-delà. […]

Curieusement, Minoui se donne le luxe d'évoquer la, politique mais en la recouvrant ironiquement d'un épais niqab histoire que la politique soit cantonnée au rang de symbole. Comprenez, la République islamique impose le voile sur les femmes mais notre République laïque a sa dose de chasteté d'esprit, histoire qu'on puisse y intervenir militairement en fermant les yeux et en se bouchant le nez (lol) :

Pour une fois que ces chiens d'américains ont servi à quelque chose !

sa grand-mère, en parlant de l'endroit où l'imam Hossein est inhumé

A la pause déjeuner, on nous emmène sous une tente. Pour y entrer, on piétine le drapeau américain, dessiné sur un large paillasson […]
Si elle connaissait tous mes plaisirs sataniques, à commencer par les chansons de Selena Gomez, Billie Eilish et Taylor Swift […]

Pour revenir au style, Delphine Minoui a probablement volontairement choisi le mi-chemin poème-prose mais au détriment de la consistance du récit au profit d'un texte hachuré qui souffre d'un manque de forme. Alors oui c'est facile à lire, mais bon l'on passe vite à autre chose (sauf si l'on décide de méditer chaque phrase, ce qui ferait nous ressembler aux exégètes du Coran… ça donnerait une drôle de contrepèterie…)


Pour finir, Delphine Minoui qui disait au service public s'être "mise à la place" de la fille iranienne, https://youtu.be/A-v2qbHuOtY?si=4-rdYW7kBkAinUAy ponctue son roman d'un dénouement tragique sans saveur, qui souffre d'être la pâle copie conforme d'un récit de la jeune femme iranienne sous le régime des mollah telle que son public cible adore l'imaginer à coups de "elle pourrait être ma copine", "quand elle retire son voile, elle vit", sans jamais pousser la narration au delà alors qu'il y a matière à le faire.

Si le régime islamique a tué Badjens une journée de manifestation d'une balle, Delphine Minoui a tué dans l'œuf la génération Z iranienne d'une plume beaucoup trop timorée pour prétendre libérer.


AbdoulFalite
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il y a 8 jours

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Abdoul Falite

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