J’ai voulu lire absolument ce livre après avoir vu un documentaire de Netflix nommé Descendant : les hériters d’Africatown (magistral) dans lequel il est cité plusieurs fois. Zora Neale Hurston était une écrivaine et anthropologue américaine qui allait devenir une des actrices de la Harlem Renaissance. En 1927, encore au début de sa carrière, elle a discuté à de nombreuses reprises avec Cudjo Lewis (Kossoula de son nom de naissance) : cet homme de 86 ans à l’époque était le dernier survivant du dernier navire ayant amené des esclaves aux Etats-Unis en 1860, alors que l’esclavage était théoriquement interdit depuis 1808 dans ce pays…Fait prisonnier à l’âge de 19 ans au Dahomey par une autre tribu, il a d’abord séjourné dans un barracoon avec une centaine d’autres, c’est-à-dire un lieu d’emprisonnement où les esclaves restaient plus ou moins longtemps, attendant le navire qui allait leur faire franchir le « passage du milieu », de l’Atlantique aux Etats-Unis. Pour Cudjo et ses compagnons, ce navire sera le Clotilda, qui sera coulé à son arrivée une fois sa cargaison débarquée, sur l’ordre de l’armateur, soucieux de ne pas se faire prendre. 5 ans après, Cudjo sera libre mais n’aura qu’une idée continue : retourner d’où il vient, sans y réussir évidemment. Une fois libre, il va s’installer avec ses compagnons dans une communauté qu’ils vont appeler Africatown, pour se souvenir d’où ils venaient et ne jamais l’oublier. Africatown est aujourd’hui devenue Plateau dans l’Alabama. Hurston laisse la parole à Lewis, afin qu’il raconte son histoire, ce dernier n’hésitant pas à imposer son propre rythme à leurs discussions. Quand elle le presse de commencer son histoire, Lewis lui explique de manière nette qu’il ne peut pas se raconter sans aborder avant son père et son grand-père. Mais, son travail est bien scientifique puisqu’elle complète le récit de la vie de Cudjo, en particulier sa traversée et son arrivée aux Etats-Unis par d’autres sources afin de combler les lacunes et oublis. Ce récit, paru finalement en 1931, est passionnant et éclairant. En effet, si on a de nombreux témoignages de capitaines de navires négriers, d’armateurs ou de marchands d’esclaves, on en a très peu d’anciens esclaves eux-mêmes. C’est donc un témoignage rare qui amène à s’interroger sur l’esclavage lui-même évidemment (comment a-t-il pu continuer pendant des décennies alors qu’il était interdit? quelles complicités cela met-il en évidence ?...) mais aussi sur l’identité, les racines, la résilience, à travers l’exemple de Kossoula.

JOE-ROBERTS
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le 10 févr. 2025

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