Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.

Boccanera
7.1
Boccanera

livre de Michèle Pedinielli (2018)

Ma critique complète (attention spoilers importants) : https://sospoilogie.wordpress.com/2025/10/07/meteors-dhubert-charuel-2025/


Un exemple assez parfait de polar à la française. Un personnage de détective privé à la fois isolé et badass, un territoire très balisé, un milieu social particulier et beaucoup de réflexions progressistes mais désabusées - ce qu’on pourrait appeler la tendance gauche libertaire. Dans Boccanera, Michèle Pedinielli utilise les bonnes vieilles recettes en ajoutant un peu de neuf pour se distinguer. Le détective fatigué devient une détective vieillissante (on est loin de la géniale Marcie de Cati Baur), Ghjulia - Diou - Boccanera, d’origine corse comme son prénom l’indique. Le territoire est la ville de Nice, que Pedinielli connaît sur le bout des doigts. L’énigme se passe dans le milieu homosexuel nicois, entre le monde de la nuit et les galeries d’art. Ces ingrédients apportent un peu de fraicheur, mais le tout me semble assez réchauffé, dans un style assez plat.


“Le jeune homme qui entre a l'air d'un gamin. Je lui donne un petit quart de siècle. C'est l'un de ces nouveaux clones qui peuplent la place du Pin. Cette place vieille comme le monde a été rénovée récemment. On y circule moins et on y respire mieux. Comme tout quartier populaire passé aux nouvelles règles d'urbanisme, c'est devenu le paradis des bars et de la bouffe, des concept-stores et des magasins de fringues - un Eden rempli majoritairement d'Adonis qui semblent ne jamais dépasser les vingt-cinq ans même quand tu sens qu'ils sont plus près de l'andropause que de la première communion. Disparus le magasin d'électricité générale ou la vieille librairie, les petits bars sombres et un peu pégueux. Ce changement s'est opéré très vite, sous les branches du pin qui donne son nom à la place, lui aussi replanté quand l'original a déposé les armes. Si l'on excepte l'irréductible horloger dont la boutique atteint péniblement six mètres carrés et le vaste bâtiment style années trente du Secours populaire, j'ai du mal à reconnaître le quartier de mon enfance.”


“C’était un grand blanc. Un bout de sommeil sans rêves, mais avec presque la conscience de l'inconscience. Je savais que je dormais et je savourais cette période de rien. Ça a duré un moment, juste le temps de penser, je dors et c'est bon, quand la sonnerie du téléphone est venue mettre un terme à ce qui ressemblait à de la félicité.

J'ouvre un œil : il ne fait pas encore jour au travers des persiennes et mon cerveau m'envoie un premier frisson. Je regarde le réveil: il est 5 heures 07. Deuxième aiguillon: comme disait ma mère, “un coup de fil à cette heure, ce n'est pas bon signe”. Dernière décharge électrique quand je vois le nom qui s'affiche sur le téléphone.”


Un architecte meurt assassiné. La police pense qu’il s’agit d’un jeu sexuel gay qui a mal tourné, mais l’amoureux du défunt n’est pas de cet avis et contacte Ghjulia Boccanera pour qu’elle enqûete. Il sera lui-même assassiné assez rapidement. La panique s’empare du milieu homosexuel : et si un tueur de gay sévissait dans Nice ? Pourtant Ghjulia elle-même se fait agresser, son voisin la sauve mais meurt quelques instants après. Il y a beaucoup de morts en quelques pages, cela ne semble pas déranger l’autrice de faire autant mourir ses personnages, même dans un polar. On tourne les pages assez facilement, Ghjulia mène l’enqûete, aidée par son ex qui est policier (et qui se fait tirer dessus) et par son colocataire galeriste et homosexuel. Il y a des gentils (une femme restauratrice, un couple de syriens, un sdf allemand) et des méchants (un frère raciste, une agent immobilier refaite, des capitalistes). Tout va très vite, les ficelles sont assez grosses. Par exemple, juste après la scène où la detective a fait l’amour avec un travesti homosexuel (qui lui a mis du rouge à lèvres partout), c’est la scène dans laquelle Ghjulia se fait agresser chez elle et manque de mourir étranglée. Même si le roman est assez progressiste, il y a parfois de la violence contre les femmes, notamment les femmes refaites à propos de qui on peut même rire du cadavre.


“Elle hésite, pose le couteau sur le plan de travail puis se détourne pour ouvrir son placard et attraper un autre verre. C'est son dernier geste conscient. Quelque chose de très lourd la cogne violemment à l'arrière de la tête. Elle s'écroule en gémissant. Mais ça, elle ne le sait pas. En tombant, son visage heurte la porte ouverte du frigo, éclatant l'injection de silicone de ses lèvres et dispersant le produit jusque sous ses narines. Elle ne peut pas s'en émouvoir. Elle ne réalise pas non plus que les coups se mettent à pleuvoir sur son crâne. Jusqu'à le réduire en bouillie Une espèce de mélasse rouge sombre. Il y a des projections de sang et de cervelle partout sur son mobilier si propre. La bouteille s'est brisée par terre à côté d'elle. La vodka se mélange au sang. C'est le bordel dans sa cuisine américaine. Mais elle s'en fout, elle est morte”


Le fin mot de l’histoire : la patronne d’une entreprise de BTP a voulu s’enrichir en facturant du sable cher alors qu’elle a utilisé du sable pas cher pour construire un chantier à Nice, ce qui coûtera les jambes d’un ouvrier. Les capitalistes sont prêts à tout pour s’enrichir, comme le souligne ce polar assez flemmard. La clé de cette affaire était située dans une clé USB retrouvée dans la voiture du premier mort. Le pire dans tout ça ? j’ai presque envie de lire les trois autres polars de Ghjulia Boccanera.


“Tombée au fond du compartiment, dans I ombre de ces signes extérieurs de richesse, une petite figurine en plastique. C'est un jouet de gamin, de ceux que l'on trouve dans des boîtes et qui exercent toutes sortes de métiers passionnants: dresseur de dauphin, pilote d'hélicoptère, chirurgien cardiaque... Celui-là est ouvrier du bâtiment, bien campé sur ses jambes rigides, un seau et une truelle coincés dans ses mains en pinces. Cet ouvrier modèle (muet, souriant, pas de revendications syndicales) arbore son casque de protection réglementaire. Rouge vif, il est frappé d'un nom écrit en cursive façon Renaissance: RAFAELO. Je le soulève pour le regarder de plus près: le seau et la truelle sont amovibles (le bon petit soldat polyvalent de l'entreprise pourra alors empoigner un marteau-piqueur ou actionner une bétonnière). Le casque aussi, apparemment. Je l'enlève et découvre la forme caractéristique d'une clé USB qui sort d'une fente au sommet du crâne. Le gentil ouvrier est un objet publicitaire que l'entreprise offre à ses contacts ou à son encadrement méritant. Le cynisme des gens du marketing, ou leur manque total d'imagination, les a fait concevoir un prolo dont la tête héberge les documents virtuels des cadres qui l'exploitent. Le petit ouvrier n'a intéressé ni les cambrioleurs, ni les enquêteurs. C'est souvent le lot des petits ouvriers. Je l'empoche.”



Jo_Babouly
6
Écrit par

Créée

le 8 oct. 2025

Critique lue 3 fois

Jo_Babouly

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur Boccanera

Du même critique

Julie (en 12 chapitres)

Julie (en 12 chapitres)

le 2 nov. 2021

Le film a l’air Metoo

Quatre à la suite ! Dans la série “Les réalisateurs de films festivaliers font tous le même film”. Ruben Ostlund avait ouvert le bal avec The Square, puis Thomas Vinterberg avec Drunk, Léos Carax...

Les Siffleurs

Les Siffleurs

le 20 janv. 2020

Critique de Les Siffleurs par Jo_Babouly

J'ai pas vu l’intérêt du film. Le coté thriller est raté à cause d'un scénario à effets de surprise bien vain. Si on comprend bien chaque rebondissement, en revanche on n'a aucune vision claire de...

Une machine comme moi

Une machine comme moi

le 29 janv. 2020

Critique de Une machine comme moi par Jo_Babouly

Deuxième livre de McEwan que je lis et c'est la confirmation : je vais lâcher l'affaire avec lui ! Après l'intérêt de l'enfant, on retrouve le même procédé, les mêmes réflexions relativement...