C'est beau
6.6
C'est beau

livre de Nathalie Sarraute (1975)

Des pièces que j'ai lues de Nathalie Sarraute - et qui ne sont pas si nombreuses -, C'est beau est que j'ai eu le plus de mal à appréhender. D'abord parce que l'écriture des dialogues introduit une sorte d’artifice, de froideur, de distance, mêlée à quelque chose (mais quoi, exactement?) de plus familier. Par ailleurs, les thématiques seront familières à plus d'un lecteur, et les interprétations données au fil du temps se sont multipliées, tant les questions abordées s'entrecroisent.


Au départ, c'est pourtant tout simple : un couple regarde une œuvre d'art, l'homme dit : "C'est beau" et attend de la femme qu'elle l'imite. Ce qu'elle fera en traînant les pieds. Intervient le fils, juste à côté d'eux, qui lui, prétend que sa mère est incapable de dire "C'est beau" en sa présence - et même s'il va s'enfermer dans sa chambre pour les laisser entre eux, d'ailleurs. De là, dispute entre père et fils, tentative du père de démontrer son autorité, conflit entre conjoints, remise en cause de la relation mère-fils, celle-ci ayant manifestement failli à son devoir maternel (selon les critères paternels mais aussi les critères sociaux et psychologiques de l'époque), intervention de voix extérieurs qui questionner les parents sur leurs fils, interrogations sur les différences et les conflits entre générations. Tout ça prend des allures de plus en plus grotesques, jusqu'au retour du fils qui regarde à nouveau l’œuvre d'art (une gravure ???) et consent à dire "C'est chouette". On pense s'être mis d'accord, le fils se retire à nouveau, la discussion reprend sur la musique, et là, c'est reparti.


Il n'y aurait pas grand intérêt à traiter ces sujets les uns après les autres, d'ailleurs je ne pense pas que j'en tirerais grand-chose. En revanche, ce qui m'a titillée après la lecture, c'est ce titre et cette phrase, "C'est beau". Une phrase que j'abhorre particulièrement. Et que j'utilise probablement comme tout le monde. D'ailleurs, ça n'est même pas une probabilité, c’est une certitude. Et pourtant je déteste dire ça ou entendre ça. C'est ce qui m'a servi de clef d'entrée pour cette pièce, quitte à ce que je sois complètement à côté de la plaque, et alors que j'évite en général d'aborder un texte par un biais trop personnel. Il me semble que les personnages de Nathalie Sarraute, avec cette phrase, ne partagent rien : la preuve, on ne sait même pas de quelle œuvre ils sont en train de parler. Pas d'analyses qu'on puisse confronter, pas de réflexion qu'on puisse élaborer ensemble, et, surtout, pas d'émotion commune. "C'est beau", point. Voilà qui clôt toute discussion, tout échange, toute tentative, toute tentation de continuer à parler. Et c’est, me semble-t-il, ce que vient dire le fils à ses parents : "C'est beau", c'est définitif, il n'y a plus rien à dire, c'est la fin de toute communication. Et chacun reste chez soi.

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le 29 mai 2018

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