Bon allez, j'essaye encore un coup : IL FAUT LIRE BRAUTIGAN ! Oh voilà, j'en vois déjà qui lèvent les yeux au ciel. Qui c'est ça encore ? Rhoo un énième truc à se fader, fuck. Pas le temps. Pas l'argent. Pas envie, merci. C'est pas comme ça qu'on va régler le problème du trou dans la couche d'ozone...
Non, mais je ne vous dis pas de lire tout un livre, hein, ni même d'en acheter un. Allez donc dans une librairie et puis ouvrez un de ses bouquins au hasard. C'est facile, il suffit d'en lire un paragraphe, n'importe lequel, et il se pourrait bien que ça vous remplisse votre journée, c'est pas mal. Il se pourrait aussi que vous rigoliez tellement, pour ne pas pleurer évidemment, que vous passiez des heures dans cette librairie, juste pour voir comment sera la phrase d'après.... Elle est encore mieux !

12 bouquins en 20 ans, sans compter les poèmes, ça va c'est pas la mer à boire. Celui-là est pratiquement son dernier, jamais publié de son vivant. Écrit sur un petit cahier japonais de 160 pages : un bref journal de bord de ses allers et retours aux États-Unis, un carnet de voyage qui devait se terminer, avait-il décidé, à l'avant dernière ligne. Fourre-tout ? Pas du tout. Ça ressemble plutôt à un jeu de cartes tombé par terre, où s'est curieusement mélangé le passé et le présent. Au fur et à mesure Brautigan invente les règles du jeu, s'interrompt, commente, se plaint, fait des blagues. On est aux anges, on a envie qu'il continue toute la nuit à divaguer comme ça, à nous chuchoter au creux de l'oreille des histoires d'incendies, de poulets, de cimetières, de corbeaux, d'intellectuelles sexy, de soupe à la tomate pour jour de pluie, de films chinois, de trous de mémoires, d'araignées pas timides, de coups de fil, de trajets en voiture, d'orages jamais tombés... Ce type c'est Midas au pays de la littérature, tout ce qu'il touche se transforme en poésie. Très très simplement, sans esbroufe, sans orgueil mal placé, sans effort. Et d'ailleurs sans espoir, puisque rien de tout ça ne l'empêchera de se tirer une balle de Smith&Wesson à l'automne de 1984.

Si vous allez jusqu'au bout, vous verrez : ce retour de Troie c'est 160 X 14 lignes de mots qu'on utilise nous aussi tous les jours, mais qu'on n'aura jamais su mettre dans un ordre aussi merveilleux. Des mots luttant tous seuls contre la vie qui passe, hautaine, pressée, sans même nous regarder. 2240 lignes pour essayer d'attraper au vol des raisons de continuer anyway. Et la dernière, celle laissée vide par Brautigan ? " J'ai décidé de ne pas m'en servir. Je vais la laisser pour la vie de quelqu'un d'autre. J'espère qu'ils en feront meilleur usage que je ne l'aurais fait. J'ai tout de même essayé".
Chaiev
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le 14 mars 2012

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