- Édition lue : publiée en mars 2017 aux éditions Entremonde. Traduit de l'anglais par le collectif Senonevero. EAN : 9782940426379.
Résumé
Intéressant sur le fond mais trop léger dans son approche méthodologique.
Détails
Le travail de Silvia Federici parait important, et les nombreuses références présentes tout au long de l'ouvrage semblent aller dans ce sens. Malheureusement, les reproches concernant les écueils de sa démonstration sont plus qu'entendables. Notamment car l'autrice va, à plusieurs reprises, lier des éléments sans faire preuve d'une grande rigueur scientifique. Quand elle ne fait pas tout simplement preuve de mauvaise foi en associant une iconographie tronquée avec un raisonnement qui laisserait supposer certaines choses inexactes si on le lie trop aisément à l'image associée - comme c'est le cas pour cette insertion de femmes maçonnes, qui n'est qu'une reprise partielle d'une iconographie utilisée pour le récit fictionnel La Cité des dames.
Par ailleurs, les liens qui sont faits entre les philosophies d'une époque et les pratiques dominantes font parfois sens, mais il est vrai que Silvia Federici n'emploie pas toujours les chemins les plus rigoureux pour démontrer la véracité de ses thèses, allant parfois un peu vite en besogne. Faisant ainsi preuve de certains biais de confirmation pour alimenter ses postulats. Notamment quand elle voit peut être un peu trop facilement une machination des dominants dans ce qui peut parfois n'être qu'une pensée rationaliste combattant l'occultisme. Ce n'est pas pour autant que cette pensée rationaliste n'a pas pu servir l'ordre établi, mais il n'y a pas forcément une pré rationalisation aussi évidente dans les écrits critiques de la magie. Ou alors il aurait fallu un peu plus d'éléments probants pour attester cette vision.
Cela étant, le texte demeure très intéressant à plusieurs égards, et s'il y a bien dans celui-ci des limites épistémologiques, elles ne suffisent pas à anéantir bon nombre des raisonnements posés. D'autant plus qu'il est possible de lire Caliban et la sorcière comme une somme d'informations politiques et historiques dont la véracité est rarement contestable. C'est davantage la liaison qui est faite entre ces informations et ces événements qui peut poser question, dans la mesure où une phrase de tel philosophe ne suffit probablement pas à affirmer qu'il représente la morale d'une époque et l'idéologie sous jacente à tout un système politique.
Et s'il est donc bien nécessaire de montrer les liens avérés et potentiels entre chasse aux sorcières, privatisation des terres, accumulation capitalistique, colonisation et misogynie, il aurait été encore plus appréciable de le faire avec plus de rigueur scientifique.
Enfin, il faut également souligner l'intérêt que représente ce livre dans sa volonté de dépasser les limites inhérentes aux travaux de penseurs comme Michel Foucault et Karl Marx en y apportant des grilles de lectures à la fois matérialistes, féministes et décoloniales, dont les défauts de l'entreprise ne suffisent pas à disqualifier complètement la démarche.
7/10.