Gwenaëlle Lenoir choisit dans Camera obscura de raconter, au quotidien, la prise de conscience politique d’un homme, père de famille tranquille, qui devient résistant, jusqu’à être obligé de quitter le pays pour éviter d’être arrêté. De plus, ce récit est une immersion dans le pouvoir totalitaire de la Syrie dont, à l’époque, l’Europe a choisi de ne rien voir !
Le métier de photographe pour services funéraires de l’armée à Damas en Syrie est parfaitement méconnu. Son rôle était de prendre quelques photos des soldats morts au combat pour les transmettre à leur famille. Le narrateur remplace Abou Georges, un homme d’expérience, qui part à la retraite.
Au début, il est satisfait de ce nouveau travail qui lui permet de nourrir sa famille. Et puis il y a seize adolescents: treize garçons et trois filles que le narrateur ne peut oublier, les premiers morts torturés, très jeunes.
Inspiré d’histoire vraie
Inspiré du photographe Syrien César, son nom de code, qui documenta les morts qui envahissent sa morgue avec d’atroces blessures, des ablations, des tortures, lors des soulèvements de 2011. Il a transmis les clichés et l’identité des prisonniers tués sous les coups de la milice de Bachar Al Assad. Les photographies ont pu être transmises et documentent le tribunal international.
Gêné par la situation, le narrateur n’ose en parler à personne tant la pression du gouvernement est intense, depuis si longtemps. Rien ne doit être montré, tellement tous ont peur de la police du régime. Seulement aux romantiques de sa jeunesse qui chantent et dansent pour demander plus de liberté, le régime de Bâcha Al Assan oppose la torture puis la mort. Puis, le silence se lève et il décide de parler.
Officiellement, les photos devaient permettre aux « autorités de délivrer des certificats de décès aux familles attestant qu’ils étaient morts d’un arrêt cardiaque » (Extrait du témoignage de Hassan Shalabi rapporté dans le JDD du 1er octobre 2015). Il y avait deux centres de tortures à Damas et sa région. Au total, 54 000 clichés de 11 000 détenus morts sous la torture et les privations. Elles ont été rendues publiques pour abonder les rédactions et l’O.N.U.
Récit et documentaire, à la fois
Gwenaëlle Lenoir est un grand reporter indépendant spécialiste du Proche et Moyen-Orient. Elle choisit le roman pour raconter le quotidien de cet homme, de sa découverte des premiers corps suppliciés à sa prise de conscience, puis le choix de trahir pour dénoncer et rendre compte de l’horreur.
Évidemment, ce personnage reçoit toute l’empathie du lecteur, appréhendant un régime politique habitué à gérer le pays de façon musclée et autoritaire depuis de si nombreuses années. Le silence devient, alors, une survie avec la délation comme arme.
La lecture du récit que propose Gwenaëlle Lenoir m’a permis de comprendre la nature de la réaction du pouvoir syrien au moment des Printemps Arabes. Cette répression fut si terrible que les contestataires se sont armés. La guerre civile qui s’ensuivit fut si sanglante qu’elle permit aux mouvements extrémistes, comme l’Etat Islamique, de s’implanter.
Mais, le talent de Gwenaëlle Lenoir projette son lecteur dans l’incertitude de sa propre faculté de résistance. Car, selon le narrateur, rien ne le destinait à devenir un héros, à devoir s’exiler et à vivre caché tel le véritable Cesar.
En conclusion,
Pendant cinq ans, Gwenaëlle Lenoir imagine les réflexions, les ressentis et l’évolution de son personnage ce que la journaliste ne pouvait faire. Souvent percutant, quelquefois dérangeant, le récit énonce les peurs et les reculs qui font aussi la nature du courage.
À partir du récit d’un photographe légiste amené à agir contre le gouvernement de son pays Gwenaëlle Lenoir propose un hommage à l’audace et à la ténacité. Le combat pour la liberté y est décortiqué du point de vue d’un homme qui aurait pu rester tranquille et soumis, mais qui a choisi de se mettre en danger pour défendre la liberté.
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/01/27/gwenaelle-lenoir-camera-obscura/