Une révolte à-travers réalité, espace et temps.

Ouah!
Putain de merde, ouah!


"Cartographie des nuages" n'est pas un bouquin qui laisse indifférent. Qu'on le déteste ou qu'on l'adore, son ambition est telle qu'il est franchement difficile d'en parler. Le plus évident, peut-être, c'est de décrire cet incroyable sentiment qui m'a gagné une fois la dernière page tournée.
Ce sentiment, j'espère que vous le connaissez. C'est celui de rester pantois devant une oeuvre gigantesque, tellement ample qu'on y réfléchira probablement encore pendant des années, sans trouver pour autant de réponses tranchées à notre multitude de question. Mais plus que ça, ce sentiment a également une part d'acceptation: on a compris quelque chose, on a visualisé une cohérence dans l'oeuvre, mais comment mettre des mots dessus?
"Cartographie des Nuages", c'est exactement cela. Le lecteur a compris quelque chose, a intégré l'oeuvre, même s'il sera bien difficile pour lui de hiérarchiser toutes ses pensées pour livrer ne serait-ce qu'un avis tranché sur l'intrigue, les personnages, les thèmes...


Alors voilà, je ne sais pas trop comment en parler. Une chose est certaine: c'est une histoire de révolte. On va suivre, probablement dans une réalité unique (bien que rien ne soit certain), six histoires s'installant à des époques différentes, des lieux différents et avec des personnages (presque) différents. Et à chaque fois, le héros sera quelqu'un sur le point de bouleverser l'ordre établi. Qu'il s'agisse d'une journaliste enquêtant sur une sombre histoire de nucléaire, un jeune compositeur qui se libère du joug de son mentor ou encore un membre d'une tribu pacifiste se décidant à braver ses peurs des tribus barbares dans un futur post-apocalyptique, chacun des personnages va s'insurger. Et c'est le lien par lequel tout converge.
Les interconnexions sont ensuite multiples. Les personnages se ressemblent parfois, on retourne sur des lieux déjà arpentés quelques chapitres avant, les histoires se lient tout comme les sentiments et les sensations.
Et c'est là le tour de force de David Mitchell: on pourrait croire à un vaste bordel, mais il n'en est rien. Tout est cohérent, maîtrisé, et le recul global, cette "Cartographie des Nuages", est juste incroyablement vertigineux.


On peut rajouter à cette maestria complexe le simple fait que les histoires sont passionnantes. Certaines m'ont vraiment bouleversé: c'est par exemple le cas de Robert Frobischer, jeune compositeur arrogant et dévoré par son art, qui lentement se construira lui-même une spirale l'enfermant en son sein. Ou encore Zachry, jeune homme à la bravoure malmené, détruit par ses erreurs passées et rongé constamment par de sombres sentiments qui se personnifient en une sorte d'entité. Somni et son périple science-fictif incroyable, plein de rebondissements plus maitrisés les uns que les autres.
Alors si l'on enlève toute la partie "interconnectée" (la plus impressionante, finalement, laissant supposer dans cette traditionnelle démarche holistique, que le tout est supérieur à la somme des parties), les histoires restent géniales. On est impatient de connaître la fin de ces histoires, toutes séparées en deux.
Même la structure du livre est passionnante: Mitchell en a fait une organisation pyramidale. Ainsi, la première histoire se finit dans le dernier chapitre, la deuxième dans l'avant-dernier et ainsi de suite... Passionnant.


Et disons-le clairement, David Mitchell est un écrivain de génie. D'accord, les histoires se passent à des lieux et à des époques différentes, mais Mitchell est très loin de s'arrêter là. Il touche dans ce livre à de multiples genres (roman historique, épistolaire, policier, de science-fiction, de fantasy...) et les maîtrise à la perfection (en-dehors peut-être du polar, que j'ai trouvé un peu en-dessous).
Et on rajoute encore une strate à l'incroyable: Mitchell modifie réellement son écriture d'une histoire à l'autre, si bien qu'on aurait aucun mal à croire que six écrivains différents se sont ligués pour l'écriture de ce roman. Ainsi, le récit d'Adam Ewing est délicieux par son ton très classique et soigné, les lettres de Frobischer brillent par leur sensorialité, le ton du polar est moderne et dynamique et attention les yeux... Mitchell est même parvenu à réinventer la langue dans son histoire post-apocalyptique, rendant réalisable l'exploit de garder son histoire lisible avec un jargon complètement déstructuré (enfer du traducteur, de mon humble avis). Hallucinant, je vous dis.


Alors que conclure à tout ça? Cette critique ne balaie probablement pas un dixième de toutes les choses que j'ai ressenties à la lecture de ce roman. D'une ambition incroyable, "Cartographie des Nuages" vous accompagnera très longtemps après sa lecture. Lecture parfois longue et fatigante, il n'en reste que le finir vous apportera un contentement rarement égalé.
Un chef-d'oeuvre.

Wazlib
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le 16 déc. 2017

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Wazlib

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