Chevreuse relate l'histoire de Jean Bosmans qui revient sur les traces de son passé. À la faveur de ce toponyme incident ("Chevreuse"), il se trouve replongé au coeur des intrigues obscures auxquelles il avait assistées enfants.
Deux fils narratifs s'entremêlent en miroir : d'une part, la quête introspective et anamnestique de Jean Bosmans, qui poursuit les personnages de son passé afin de recouvrir la mémoire ; d'autre part, la traque de Jean par ces mêmes personnages, puisqu'il le considère comme élément essentiel dans la quête de "l'île au trésor" financière qu'ils poursuivent.
Ce livre est un chef d'œuvre de construction et de complexité. En ce sens, il est peut-être la pièce maîtresse de l'œuvre modianienne. Les perspectives s'entrelacent et les indices se répondre de sorte qu'aucune lecture ne pourrait exhaustivement cerner l'ouvrage.
Chevreuse peut être rapproché essentiellement de la démarche de deux auteurs distincts : Proust, d'une part ; et Ernaux, de l'autre.
Proust, car c'est avant tout une recherche du temps perdu (de l'enfance perdue, plus exactement) auquel se livre Jean Bosmans. Mémoires volontaire et involontaire se répondent en cœur pour faire émerger les souvenirs d'un passé que l'on pensait révolu et à jamais perdu dans les méandres de l'oubli. Au coeur de ce processus, la richesse du champ sémantique dévolu au mot "coeur" ("coeur net", "coup au coeur", "cœur de l'été", etc.) amène à rapprocher Chevreuse des intermittences du cœur proustiennes.
Ernaux, également, car il existe dans ce récit la croyance que la littérature permet de "sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais" (Ernaux, Les Années). L'écrivain y est présenté comme un archéologue qui, par sa vision palimpseste, réussit à rendre sensible "l'odeur du temps", et ranimer le passé.
Chevreuse ne contient peut-être pas la même émotion que d'autres livres de Modiano tels que Voyage de noces, ou Dans le café de la jeunesse perdue, mais qu'importe, c'est là avant tout une aventure intellectuelle que nous propose Modiano.