Critique avec quelques spoilers par-ci par-là...


Je suis assez mitigée sur les Chroniques de l'oiseau à ressort. Le côté surréaliste et absurde du livre m'a beaucoup plu mais à l'inverse certains éléments m'ont ennuyé et indifféré.


On se retrouve presque dès le début du roman plongé dans le monde de Toru Okada. Un monde dans lequel l'imaginaire rattrape la réalité, dans lequel les rêves pourraient bien être la réalité et la réalité un rêve. En effet, après avoir lu Chroniques de l'oiseau à ressort on pourra se questionner sur ce qu'est la réalité et sur notre place dans cette réalité : sommes-nous réellement nous ? (



Sur quelles bases puis-je affirmer que c'est le vrai moi qui t'écris
aujourd'hui ?



) Ce qui nous entoure, est-ce la réalité ou seulement une projection faussée par notre manière de penser et de voir ? Et qu'est-ce que l'imaginaire ? Si on arrive à se représenter certaines choses imaginaires c'est qu'elles ne sont pas totalement irréelles, n'est-ce pas ? De plus, quelles sont les frontières de cette réalité ? Nous créons chacun une réalité, un monde, qui nous appartient, qui est le notre et qui se constitue à partir de notre vécu, de nos passions, de nos relations, etc. Lorsque nous parlons de réalité, parlons-nous de celle qui se passe dans notre tête ou de celle du monde extérieure sur laquelle individuellement nous avons peu d'influence ? Quelle est la vraie réalité : celle issue de notre imagination ou celle qui nous entoure ? En mélangeant imaginaire et faits réels ce livre se penche sur ce genre de questions.*



-... Parfois, je ne savais plus où était la réalité, il me semblait que ma vie était un rêve, et ces souvenirs la seule réalité.



Les raisonnements, les vantardises, les calculs, les idéologies, tout ça, c'est pour ceux qui sont incapables d'observer la réalité de leurs propres yeux.



Ce que le roman a d'intéressant est le fait qu'il mélange des passages complètement surréalistes avec des faits historiques. En effet, plusieurs expériences relatives à la guerre clairsèment l'histoire. Cela donne un résultat vraiment intéressant.
Et puis, le roman nous offre des passages incroyables ou nous n'avons plus aucun repère spatio-temporel, ou plus rien n'a de sens et en même temps tout a un sens métaphorique (cf. : les moments dans l'hôtel et dans la chambre 208) : une sorte d'endroit qui paraît extrêmement réel mais qui ne l'est pas et qui invente une réalité seconde.


Nous avons aussi affaire à des questionnements relatifs au temps qui rejoignent ceux sur la réalité. En effet, le temps n'est pas quelque chose de concret et nous pouvons presque dire que nous sommes notre propre "oiseau à ressort" qui remontons notre propre pendule. Le temps est quelque chose de relatif qui passe plus ou moins vite selon le contexte. Et lorsque nous perdons complètement la notion du temps, que nous n'avons plus aucun repère temporel alors le temps n'existe plus. Nous nous faisons prisonnier du temps en créant un sens à notre vie à partir de ce dernier.** Et lorsque nous perdons la notion du temps (comme c'est le cas de Toru Okada lorsqu'il est au fond du puits), cela devient angoissant car il n'y a plus de structure, plus de fondation, plus de pilier. Le véritable temps est-il celui qui passe en jours, semaines, mois, années ou est-il celui qui est relatif à notre façon de vivre ?


De plus, le personnage de May apporte énormément à l'histoire. Tout d'abord parce que ses questionnements sont les plus intéressants et ensuite parce que c'est le personnage le plus ambigu du roman. En effet, nous avons affaire à une adolescente hantée par ses démons intérieurs, un peu folle, qui n'est pas très "normale" et pourtant c'est ce même personnage qui va poser les questions les plus pertinentes (et les plus bizarres, certes) et qui est le plus "humain" de tous. Certes, Toru Okada a une personnalité assez intéressante mais finalement il n'est attachant qu'à la fin (le moment où il est dans le puits et que l'eau commence à monter est extrêmement angoissant et jamais auparavant dans le livre on ne se sent aussi proche de lui et aussi apeuré). May est à la fois une jeune fille intrépide, impudique, étrange et fragile. Et tout ça la rend extrêmement attachante et intéressante.



... as-tu déjà regardé l'ombre de tes larmes ? Ce n'est pas une ombre ordinaire, ça n'a rien à voir. C'est une ombre venue exprès pour nos cœurs d'un autre monde lointain.



Je me mets à pleurer pour la moindre broutille. C'est ma faiblesse cachée.



De plus, la relation qu'entretiennent Toru et May est vraiment géniale.


Néanmoins l'histoire est longue. Certes, le début nous précipite presque immédiatement dans l'ambiance particulière de l'histoire et nous captive donc pratiquement immédiatement. Le problème vient ensuite, vers le milieu du roman avec le personnage insupportable de Creta Kano, avec la mollesse de Toru qui s'accentue et puis toutes ces questions sans réponse, ces allers et venus, le défilé de personnages incessant et parfois agaçant. Heureusement que la fin est excellente car dans la deuxième partie la baisse de rythme et les errances du personnage principal ennuient vite.


J'ai pris du plaisir à lire les Chroniques de l'oiseau à ressort parce que le roman m'a fait m'interroger sur des points intéressants, parce que le mélange de la réalité avec l'imaginaire opère excellemment bien et parce que j'ai adoré découvrir le personnage de May. Un très bon roman qui frôle le génie par moment, dommage pour les longueurs du milieu.


astérisque 1 : enfin je crois... en tout cas, après avoir terminé le livre c'est le genre de questions que je me suis posée.
astérisque 2 : c'est ce à quoi j'ai pensé lors des passages où Toru Okada se trouve au fond du puits.

Matyyy
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le 29 juil. 2016

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Matyyy

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