Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée est, comme son nom l'indique explicitement, un recueil de nouvelles écrites par des autrices coréennes sur des sujets multiples mais tournant essentiellement autour du rôle de la femme et de la nourriture - on sait que certains peuples asiatiques donnent une place sociale centrale à la nourriture.

Dans l'ensemble, les nouvelles sont d'une grande beauté, tant dans la maîtrise de l'écriture que dans la puissance des histoires abordées.

Concernant l'écriture, il faut en effet noter une élégance peu coutumière dans la légèreté de la prose. C'est tout aussi aérien qu'élégamment construit. On est parfois proche de l'orfèvrerie tant on imagine ces femmes et leurs traducteurs ou traductrices s'arrêter à chaque mot, revenir en arrière après chaque phrase, reprendre chaque paragraphe pour lire à voix haute, observer la dynamique et peser l'équilibre de la seule sonorité du récit. C'est très beau, et finement orné.

Quant au récit, il est très souvent intimiste, feutré, pour ne pas dire claustrophobique : c'est d'abord et surtout le rôle de la femme dans la société coréenne qui est analysé ici, avec une froideur et un cynisme parfois brutal, vulgaire et violent. La femme ramenée à une mère, ramenée à une productrice de nourriture, ramenée à un couteau de cuisine ; la femme ramenée à la femme au foyer, bonne à faire le ménage et à recevoir les coups ; la femme ramenée à la mère seule, bonne à faire la bouffe et subir la comparaison du père absent ; la femme, et même la petite fille, ramenée à la seule conscience qu'il reste au père esseulé ; la femme, ramenée à la procréatrice ou à la faiseuse d'ange, mais toujours celle qui a du "écarter les cuisses" ; etc. C'est souvent cru, presque aveuglant tant la lumière qui est projetée l'est avec impudeur, mais c'est d'une utilité publique certaine, si ce n'est cruciale pour être en mesure de comprendre la place qui est laissée à la gente féminine dans ces/nos sociétés obnubilées par le pouvoir et le gain au point d'en délaisser le respect de l'autre ; c'est nécessaire pour mettre en lumière les inégalités sociales, politiques et économiques qui existent encore ; c'est indispensable pour prendre conscience de nos actes et de nos schémas de pensée qui n'ont rien de naturel et ainsi pouvoir les corriger au plus vite.


J'émettrais seulement un bémol concernant ce recueil, c'est justement la nouvelle "Cocktail Sugar" que je trouve un (ou même deux) cran(s) en-dessous du reste des nouvelles. L'écriture y est (je trouve) bien moins soignée, bien moins élégante, presque maladroite. Et l'histoire est cousue de fil blanc et s'annonce avec des gros sabots dès les premières pages avec notamment cette phrase qui sert de fil rouge et qui me semble particulièrement laide, ou peut-être très mal traduite : "Ce bâtonnet ressemble à un point d'exclamation : savoure sa douceur, n'en fais pas un point d'interrogation". C'est même à se demander pourquoi le recueil tire son nom de cette nouvelle alors que tant d'autres sont inspirantes et puissantes ("Trois jours d'automne" ou "Les chiens au soleil couchant" par exemple).

Steino
7
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le 16 juin 2025

Critique lue 12 fois

Steino

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