Le jeune Cristiano — il n’y a a pas que son prénom qui lui donne quelque chose de christique — a treize ans et adore Rino, son papa. Rino l’éduque : apprendre à tuer sans trembler, à conduire, à s’endurcir, à ranger la maison pour la visite des services de protection de l’enfance ; et pas touche à la drogue ! Rino adore Cristiano, mais pour tous les autres — sauf ses amis, et encore — et pour tout le reste, il n’éprouve que de la colère, de la haine de chien battu. Voilà pour les deux portraits principaux d’une galerie qui comprend en outre deux adolescentes perdues, un moine, un idiot mystique, un sans-papiers, un éducateur au bord du gouffre, et un escroc à la petite semaine, tous plus ou moins alcooliques et désespérés, mais tous plausibles.

C’est que chacun répond du mieux qu’il peut à la logique marche-ou-crève de la société de consommation, celle qui détruit tout lien social ou familial, qui fout les gens à la porte de l’usine, qui n’offre pas d’autre repère que la consommation elle-même, qui produit la bêtise et s’en repaît. Comme Rino est néo-nazi — plus croyant que pratiquant, d’ailleurs, et plus par frustration que par conviction — et qu’on a la culture qu’on peut, ça donne ça : « Il [Cristiano] reprit courage en se disant que les grands ont toujours dû se frayer un chemin dans la merde. Y avait qu’à voir Eminem, Hitler ou Christian Vieri. » (p. 147-148).

On se prend, de temps en temps, à penser à la vieille rengaine de "la Haine". « Pour l’instant tout va bien », oui, et pour l’instant, à ma connaissance — et à l’exception peut-être de Morgan Sportès, avec des angles d’approche plus circonstanciels —, aucun romancier français contemporain n’a dressé un vrai portrait de cette classe sociale en pleine déliquescence et pas si marginale.

Revenons à notre bande de laissés pour compte, dont aucun n’est une crapule absolue. La quatrième de couverture parle d’un braquage. Lequel, en version "Pieds nickelés" plutôt que "Ocean’s Twelve", les concernera tous de plus ou moins près, au cours d’une nuit de tempête qui n’est qu’un des nombreux clichés du récit — scène d’embouteillage sur un pont, scène d’enterrement, scène de visite à l’hôpital… Très bien construit, le récit, tout en chapitres brefs qui allègent ses cinq cents pages. Quand tout converge vers le drame, puis quand l’enquête suit son cours, c’est prenant. Ce sont les trente ou quarante dernières pages, aux limites du grand-guignol, qui empêchent le chef-d’œuvre.
Alcofribas
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le 6 janv. 2015

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