Comme un conte
7.4
Comme un conte

livre de Graham Joyce (2013)

Ayant été déçu par la lecture de Lignes de vie, j’ai longtemps délaissé Graham Joyce. Que voulez-vous, je suis faible, ne parvenant pas toujours à m’extasier devant la beauté subtile d’une histoire simple. Bref, je me suis profondément ennuyé, tournant les pages mécaniquement et me faisant la promesse de rester loin des autres romans de l’auteur. Parfois, il ne faut pas se forcer. Sans illusion, j’ai donc entamé Comme un Conte, ne nourrissant guère d’espoir sur l’éventuel enthousiasme que pourrait susciter cette seconde tentative dictée surtout par le besoin de place dans ma bibliothèque, rangement de printemps oblige. Certes, le propos du roman de Graham Joyce ne brille pas pour son originalité. Les histoires d’interaction entre la féerie et le quotidien ne manquent pas en fantasy. Neil Gaiman et son mur (Stardust), Lord Dunsany et La fille du roi des elfes, Robert Holstock et ses archétypes, Peter Pan et son ombre, voire Ellen Kushner et Thomas le Rimeur témoignent de cet engouement pour la perméabilité entre les mondes. Mais, Graham Joyce parvient, avec le concours de sa traductrice Mélanie Fazi, à rendre le sujet sympathique, proposant une histoire de disparition et de retrouvailles familiales, avec comme contrepoint une représentation de la féerie, un tantinet dépoussiérée de ses poncifs classiques.


L’amorce du récit a le mérite de poser rapidement l’enjeu du roman. Au lendemain de Noël, Tara est de retour dans sa famille, après vingt année d’absence. Disparue sans laisser de traces, ses proches ont longtemps cru qu’elle avait été victime d’un tueur, son corps découpé en morceaux pourrissant dans un trou creusé quelque part. Sa réapparition est donc un choc pour tout le monde, d’autant plus qu’elle ne semble pas avoir vieilli d’une seule année, conservant son apparence d’adolescente de seize ans. Face à l’incompréhension de ses parents, de son frère aîné et de son ex-petit ami, elle parle d’un vague voyage, avant de révéler son séjour en féerie.


Sur cette trame toute simple, Graham Joyce déroule ensuite une intrigue familiale, où le traumatisme des uns et des autres entre en résonance, suscitant une multitude d’échos et de réminiscences. Le registre intime compose ainsi une partition à plusieurs voix, principalement celles du trio Tara, Peter, le frère aîné, et accessoirement de Richie, l’ex-petit ami. L’incompréhension et la nostalgie président au déroulé du récit. Tara renvoie en effet les deux hommes à leur jeunesse, aux occasions manquées et au deuil provoqué par sa disparition. Mais pour la jeune femme, la situation n’est guère plus confortable, se teintant même d’un soupçon d’amertume. Elle découvre un monde qui s’est transformé en son absence, un monde peuplé d’inconnus qui ne correspond plus à ses souvenirs. Et si Peter et Richie éprouvent un sentiment de trahison en sa présence, elle-même découvre qu’elle est une entrave à leur histoire personnelle, un boulet qu’ils doivent traîner et qui pèse sur leur conscience. Somme toute dramatique et un tantinet cruelle, l’intrigue de Comme un Conte recèle une finesse psychologique, échappant de justesse à la mièvrerie, contribuant au charme d’un roman finalement très chaleureux.


On ne fait qu’entrapercevoir le séjour de Tara dans le monde des fées. L’auteur en brosse un portrait rapide, délaissant les représentations classiques du petit peuple pour décrire une communauté vaguement hippie, dont les membres préfèrent baiser plutôt que baguenauder en tenue victorienne ou battre la campagne à tire-d’ailes. Bref, fantasme ou expérience réelle dans un autre monde, le séjour de Tara en féerie ne semble pas au cœur du propos de l’auteur. Péripétie mystérieuse dont on se gardera de rationaliser les tenants et aboutissants, il tient plus de l’argument en faveur de la faculté de l’imaginaire à ensemencer le réel avec ses motifs et archétypes afin de le réenchanter.


Comme un Conte tient donc de la promesse, celle de la fiction comme source d’enrichissement personnel. Et, si le conte ne peut évidemment pas changer le monde, il peut contribuer à le rendre plus supportable en révélant les potentialités individuelles. Bref, je me demande maintenant si je ne vais pas poursuivre mon exploration de l’œuvre de Graham Joyce, sans doute plus intéressante que je ne le pensais au premier abord.


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leleul
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le 12 juin 2020

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