Beautiful freaks

Considéré comme un chef-d'oeuvre de la science-fiction avec “Les plus qu'humains”, “Cristal qui songe” est le premier roman de Theodore Sturgeon, paru d'abord en 1950 dans le magazine Fantastic Adventures et ensuite réédité aux Editions J'ai Lu. Né en 1918, et mort en 1985, Sturgeon est un des plus grands écrivains américains de l'étrange.

“Cristal qui songe”, c'est l'histoire d'Horty, un petit garçon de huit ans, martyrisé par ses parents adoptifs, Mr et Mrs Bluett, ne voyant en lui qu'un monstre, un bon à rien. Heureusement, il a Junky, son jouet préféré dont il est inséparable, un petit diable à ressort aux yeux brillants tels deux pierres rouges. Un jour, après avoir été renvoyé de l'école, Horty reçoit en rentrant un accueil des plus violents de Mr Bluett. Terrorisé, il s'enfuit avec Junky pour seul bagage et va trouver refuge au sein d'un cirque ambulant, où il rencontre une série de personnages haut en couleurs. Il devient le partenaire de deux naines, Zena et Bunny et s'appellera désormais Kiddo. Grâce à eux, il est enfin accepté et découvre la tendresse, l'amitié, l'attention.

“Etre une partie de quelque chose... Appartenir à un tout... Cette idée revenait comme un leitmotiv infiniment séduisant dans tout ce que faisait Kiddo. Kiddo était une partie de Horty et Horty était une partie de l'univers ; pour la première fois de sa vie il se sentait rattaché à un ensemble.”

Toutefois, il est très vite confronté à d'étranges phénomènes. Pourquoi tout le monde tremble-t-il devant leur féroce directeur, Pierre Ganneval, surnommé "Le Cannibale"? Ancien médecin, véritable mishantrope, celui-ci possède une étrange collection de cristaux qu'il s'est appropriées et exploite dans d'obscurs desseins : des pierres “vivantes” ayant la capacité de penser et de reproduire des organismes à l'identique, parfois inachevés. Tandis que Ganneval poursuit ses expériences, Horty grandit parmis les monstres du cirque sous la protection de Zena qui l'éduque et peu à peu, il va être amené à découvrir sa véritable nature et le lien qui l'unit au Cannibale et aux cristaux.

En plus de posséder un sujet original, “Cristal qui songe” est un livre qui passionne, captive, attendrit, par la manière qu'est racontée l'histoire et l'atmosphère très étrange, rêveuse et surréaliste mise en place par l'auteur. De plus, le style d'écriture est simple et rythmé.
Bien que comptant peu de personnages, ceux-ci sont très particuliers, attachants et complexes, et même les “méchants” de l'histoire, sont bien construits. Chose plutôt importante pour faire un bon roman, du moins accrocher le lecteur. De petit garçon craintif et rejeté, Horty devient un jeune homme sûr de lui, extrêmement cultivé, espiègle, bien que resté immature, fragile et se contentant d'ingurgiter des tonnes de savoir de façon boulimique et sans but précis. Même avec ses capacités surhumaines inexpliquables, il reste profondément humain et attachant.
Même si l'histoire se rapproche parfois plus du fantastique, ce roman est pourtant le plus souvent classé comme oeuvre de science-fiction. Peut-être grâce à ses nombreuses réflexions sur l'humanité, la civilisation, la science (via Ganneval et ses recherches et expériences sur les cristaux). Il s'agit également d'une ode à la création artistique, avec ces cristaux qui créent la vie, mais aussi via les oeuvres que découvre Horty avec passion.
Ici les extraterrestres prennent la forme de cristaux énigmatiques évoluant dans un monde parallèle au nôtre.

Du fantastique, un peu de science-fiction, cependant c'est surtout l'humain qui intéresse l'auteur, mais pas vraiment l'humain normal. L'auteur aborde en effet dans ce livre le thème de la différence et ses conséquences, via Horty et ses personnages de “demi-monstres”, ces “freaks” aux difformités physiques, ainsi que des conséquences de posséder des capacités psychiques surhumaines, qui sont des thèmes assez récurrants chez l'auteur.
Mais Ici, les “freaks” sont les “bons” et sont bien plus dotés d'humanité que ceux généralement bien considérés par la société: Ainsi, Mr Bluett, juge de son métier est un être manipulateur et sadique, et l'ancien docteur Ganneval, cruel et opportuniste, bien que drôle dans sa bêtise. Ce sont les “mauvais” de l'histoire, les véritables monstres. Par l'intermédiaire de Ganneval et de son pouvoir sur les cristaux, il semble aussi dénoncer ce côté misérable de l'Homme qui cherche sans cesse à s'approprier et exploiter d'autres espèces.

En bref, bien que datant d'une soixantaine d'années, ce roman reste d'une modernité incroyable tant dans les thèmes que le style d'écriture et peut toujours séduire de nouveaux lecteurs. Avec ses 258 pages, il semble même bien trop court. C'est une histoire à la fois touchante, drôle, poétique et intelligente et à l'intrigue déroutante qui mérite bien son statut de chef-d'oeuvre de la science-fiction.

A.M