Sous ses faux-airs de livre concept (une femme et son jeune enfant sont enfermés dans une voiture, à la merci d'un cerbère impitoyable atteint de la rage), Cujo exprime bien d'autres choses que la terreur primale, qu'il distille d'ailleurs fort bien dès lors que le piège se referme. En cela, il est un King "première période" archétypal - et diablement réussi.
On pourrait reprocher au livre un puritanisme agressif (adultère = châtiment au centuple), mais ce serait, d'une part mal connaître King / Bachman, et d'autre part aborder le livre avec une grille de lecture erronée, car ce n'est pas de morale qu'il s'agit.
Comme toujours, les "digressions" si célèbres (et parfois si décriées, alors que sans elles, tout s’effondrerait) de King permettent avant tout de tisser un portrait sans fard de ses personnages et de leur environnement social. Ici, le constat est dramatique : on ne s'échappe de son milieu que dans la souffrance - quand on peut s'en échapper. Symbole de ce conditionnement, bien sûr, la voiture, gardée par un Saint-Bernard enragé. Mais tous les personnages sont engoncés dans leur carcan social, familial ou sentimental, et tous ont leurs propres Cujos pour les maintenir enfermés dans leurs habitacles. Charge à eux de mettre leur vie en péril pour les affronter, quitte à tout perdre, ou de s'en accommoder et de penser jusqu'à leur mort aux occasions manquées.
Et à ce jeu-là, les personnages de Cujo perdent beaucoup, mais gagnent dans le même temps un semblant de liberté. Une liberté bien cruelle, juste assez lâche pour leur permettre de panser leurs plaies et d'espérer, de nouveau, s'en sortir.