Mais qu'est ce qui m'a pris de me lancer dans la lecture d'un pavé sur "l'Histoire sociale de l'Union soviétique" ! Une synthèse savante, universitaire, riche et complexe, idéale pour coller des migraines carabinées à l'amateur pas forcément très bien éclairé que je suis. Ce n'est pas que le texte soit difficile à comprendre, c'est bien écrit, clair et limpide. C'est plutôt que l'on nous parle là d'une nation immense, démesurée, sur une période historique s'étalant sur près de 75 ans. Sachant que mes connaissances de l'URSS atteignait à peine 1/3 de celles disponibles sur Wikipédia, je vous raconte pas le bazar pour recoller les morceaux disparates, entre les villes qui changent de noms, les dirigeants politiques qui se bouffent le pif avant de se faire purger par Staline et les innombrables institutions qui se marchent sur les pieds (et sur ceux des russes en général). En résumé, ce livre est principalement destiné aux personnes ayant déjà deux-trois notions sur l'Histoire de l'Union soviétique. On n'est pas dans de la vulgarisation, vous êtes prévenus.

Donc, mais qu'est-ce qui m'a pris ? A vrai dire, à notre époque, il arrive un truc étrange. Depuis que le Bloc soviétique s'est effondré, en 1991 (j'étais là, je me rappelle même avoir préparé une revue de presse à ce sujet au collège, pour tout vous dire), on aurait presque l'impression que l'URSS, ce n'était qu'une désagréable parenthèse historique, c'est bon, c'est fini les conneries, les Russes (et les autres, qu'on oublie toujours) sont revenus dans le rang, ils sont libres, capitalistes, démocrates (façon de parler, hein...), enfin ! Genre ils ont vécus 75 ans en états de stase, congelés, imbibés de vodka, en attendant que le cauchemar s'achève. Bon, pour un certain nombre d'entre eux, cette visions caricaturale n'est pas si éloignée de la vérité que cela, mais personnellement, j'avais besoin d'une vision un peu plus précise et un peu plus nuancée. Parce que bon, l’effondrement du modèle soviétique, les crimes staliniens, la trahison du marxisme, le totalitarisme, la bureaucratie, le NKVD, d'accord je connais le refrain, on nous le chantonne systématiquement, toujours plus ou moins de la même manière, dès que l'on parle de l'URSS. N'empêche que des millions de personnes y ont vécu, dans ce foutu machin. Ils se levaient le matin, ils avaient un famille, des amis, des activités, des ambitions, des devoirs, des droits, des envies. C'était certainement pas que des automates interchangeables asservis par un État centralisé. Bref, c'était des gens, quoi. Et moi, l'Histoire des gens, çà m'intéresse. Surtout quand on a des idées préconçues à leur sujet.

Ce livre remplit parfaitement le rôle que j'espérais qu'il jouerait. Ce n'est pas une dénonciation du régime soviétique et de son influence néfaste sur les populations qu'il gère de manière autoritaire. Ce n'est pas non plus une réhabilitation circonstanciée de ce régime prétendument communiste par un idéologue. C'est une étude neutre des faits sociaux qui ont structurés l'URSS, de l'évolution des interactions complexes entre l’État, les différentes institutions officielles (ou officieuses voire illégales), les différents milieux sociaux et les individus vivant dans cette nation. Comme on pouvait s'y attendre, les images d’Épinal en prennent un vieux coup, tout est bien plus complexe que ce que nos conceptions pré-construites nous laissaient croire. Exit les fantasmes conçus par la propagande soviétique, ou à l'inverse, par la propagande de "l'autre camp". Oh, tout est là, le goulag, la "Grande Guerre Patriotique", les purges staliniennes, la déstalinisation, toutes ces "grandes tendances historiques". Mais tout cela est observé froidement, contextualisé, on est pas là pour monter un spectacle, pour créer de l'empathie. On est là pour essayer de comprendre comment les gens ont réellement vécu ces événements, quels étaient les enjeux socio-économiques auxquels étaient effectivement confrontés les soviétiques.

A aucun moment, Alexandre Sumpf ne sombre dans l’anecdote. L'objet n'est pas de nous conter le quotidien des soviétiques avec moult détails. Il essaie plutôt, par une synthèse des travaux historiques les plus récents, de nous présenter une réalité assez difficile à reconstituer, structurée par des forces qui modelaient le quotidien de millions de personnes, une réalité assez éloignée de celle qu'imagine la plupart des gens qui, comme moi, n'ont pas suivi de cursus universitaire concernant l'Histoire soviétique.

Je ne vous cacherai pas que j'ai trouvé ce livre incroyablement difficile à lire. Limite chiant. Faut s’accrocher. 800 pages dans un format poche. Par ailleurs, je l'ai trouvé assez inégal. En particulier, la troisième partie du bouquin m'a paru plus confuse, moins claire, sans doute parce qu'elle aborde des notions qui sont de l'ordre du psycho-social (rapports à la propagande, à la religion, à la science, à la culture), ce qui n'est pas le domaine de prédilection de l'auteur, à priori. Ceci étant dit, je pense que ce pavé est une œuvre de référence pour tout ceux qui cherchent des informations sur le fonctionnement de la société soviétique, au delà de tout discours partisan. De plus, la lecture de ce livre m'a sérieusement éclairé sur les origines de nombreux problèmes auxquels la Russie moderne est confrontée. On n'efface pas 75 ans d'Histoire d'un revers de la main. Parce que cela impliquerait de balayer les centaines de millions de personnes qui ont vécus dans un tel contexte, s'y sont adapté, et se retrouvent actuellement dans un monde bien différent de celui dans lequel elles sont nées, mais aussi, et ce de manière troublante, tout à fait analogue en certains points. Le changement dans la continuité.
peterKmad
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le 16 févr. 2014

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