" Laissez la nuit une minute recouvrir vous et moi, invisibles, immobiles. "

Des voix sourdes n'est pas réellement une pièce de théâtre, et encore moins un livre. C'est un texte écrit pour la radion en 1973, qui est divisé en scènes, où les personnages ont une existence et sont plus présents que jamais. Des voix, disséminées en arrière-plan, riantes, inquiétantes, vont les accompagner au fur et à mesure de leur perdition. Mais l'édition se lit extrêmement bien, la fable se suit comme une pièce à part entière, concrète, claire dès le début, compréhensible, belle et plus koltèsienne que jamais.

Toute l'écriture koltèsienne est là. Œuvre de jeunesse, c'est un carré amoureux mû par une raison financière dont un ne sait que peu de choses, simplement que de l'argent est disposé quelque part au pied d'un arbre, mais raison qui est suffisamment claire pour exister. On sait ce qui est nécessaire à savoir, rendant l'œuvre extrêmement symboliste comme Koltès le fera plus tard, avec Roberto Zucco ou Quai Ouest dont on pourrait disserter pendant des heures quant aux didascalies. Mais surtout, Des voix Sourdes, c'est les prémices de La nuit juste avant les forêts et Dans la solitude des champs de coton, les deux meilleurs à mes yeux. Le monologue des forêts pourrait être prêté à chaque personnage, d'autant plus que la pièce se dénoue au milieu d'arbres sous un orage. Anna, Hélène, Stevan, Nicolas, les personnages sont mus par les passions, le désir, et l'impossibilité d'accéder aux personnages de sexe opposé présentés comme mythes. Les monologues sont légion, autant que les dialogues d'amour, brefs et appelant l'action, le désir irrépressible de s'embrasser, là, ici, maintenant, comme une urgence, sonnant éminement de la part d'Anna à Stevan et de Stevan à Anna comme un " Il faut ". La folie se noue peu à peu, la violence éclate, la mort au poignard et l'honneur qui lui est dû est souillée par les voix des passants ignorants, et la violence de la pièce appelle une présence du corps extraordinaire et terrifiante. Tout attend pour se terminer dans la beauté du silence, au milieu d'un lieu abstrait et symboliste, au milieu de toute nuit.

Drame de l'amour, drame de la folie, drame du poignard, Des voix sourdes est l'histoire la plus violente de Koltès, dont l'écriture est brutalisée aussi infiniment qu'elle peut l'être, méprisant l'opinion publique qui le considère à injuste titre comme un auteur marginal et trop jeune pour être talentueux, se contentant comme tout le monde de violence urbaine parce que c'est de son temps, Des voix sourdes offre une œuvre aux voix éphémères qui égale, sinon surpasse, ses pièces les plus connues.
Ashen
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le 24 juin 2013

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