A force de m'enfiler les classiques littéraires cooptés par le cercle norvégiens, je commence à voir se dessiner des patterns. Et je comprends, ou je crois comprendre, pourquoi ce roman y a fort logiquement frayé sa place. Comme d'autres récits fougueux, dense et épiques, il semble traverser les âges et les temps en une épopée foutraque, rendue presque absurde par la perte de sens moderne : Don Quichotte à la sauce Beckett, Berlin Alexanderplatz dans le Sertao mythique à la Conrad, Voyage au bout de la Jungle avec ce binôme récurrent qui se dédouble, ici le narrateur et Diadorim qui titre en français. La langue, aussi. Est éprise d'elle même, s'emmitoufle et califourche, digresse à tire-larigots (car au fond Diadorim n'est que ça, digression mentale d'un narrateur incontinent à un auditeur totalement absent).


Deux récurrentes tout de même : celle de Diadorim, dont on attend quelques centaines de pages qu'il raboule, qui s'éclipse ici ou là, est foncièrement évanescent. Et son lien avec le narrateur ? Trouble, c'est peu dire : camarade, ami, rival, amant ? Il sert de fil conducteur, fût-ce un fil fantôme, un fil filou méandreux qui se défile à la moindre incartade. L'autre récurrence, c'est le diable dans les détails, évoqué d'entrée de jeu lui. Existe t-il ? C'est la question que pose le narrateur sans qu'on ne lui ai demandé, et c'est la métaphysique mythique qui scande ses souvenirs foutraques, à peu peu près chrono, approximativement logiques. Ajoutons à ça une troupe énumérée à gogo et dont on peine, faute d'avoir le bréviaire de la Horde du Contrevenant, à discerner qui est qui - à dessein, peut-être. Et les paysages, traversés, venteux, déserts, périlleux, sclérosés de villageois tétanisé ou cajoleurs, d'amante à cuisser ou laisser mijoter à petit feu au doux son d'une poésie récurrente. Et des bandits chevaleresques d'autres clans avec qui guerroyer, sans trop savoir pour qui pour quoi - les chefs changent, les têtes tombent; peu importe tant perdure l'hécatombe.


J'avoue tout, tel le chef destitué lors de la séquence centrale du procès improvisé, meilleur passage du pavé dans l'amarre. Malgré un style plaisant à petite dose, capables de fulgurances ici ou là au détour d'un Tambour tamponné par l'homme invisible, la logorrhée infinie épuise, d'autant plus que les périples, sans repères temporels, ni logique narrative volontaire, inscrit dans un jungle mythologique qui, elle a droit à un bréviaire, manque de bol, je m’intéresse plutôt aux état d'âme qu'aux noms des arbres. Ainsi on s'engouffre dans une béance sans fond, en spéléologue littéraire et là où Bardamu et Quichotte alignent tout de même les aventures délimitées, le Brésil fantasmagorique ici échappe au moindre contexte historique, perdu dans la forêt obscure où était sa vie. ça en jette autant que je végète.

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le 31 juil. 2025

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