Diaspora
7.5
Diaspora

livre de Greg Egan (1997)

Greg Egan, la SF avec un grand S

22 ans après sa parution arrive enfin la traduction française d’un des plus grands romans de Science-Fiction, Diaspora de Greg Egan. Merci à l’éditeur Le Bélial pour cette initiative (2019) et au Livre de Poche qui réédite l’œuvre (2021). Mais pourquoi Diaspora a tant d’importance littéraire ? Je vous dis tout.

La Science-Fiction est un genre paradoxal puisque seule une infime partie de sa production propose réellement des fictions à haute valeur scientifique : ce que l’on appelle couramment la Hard SF. Mais dans ce sous-genre exigeant, un auteur règne depuis trente ans en maître incontesté : Greg Egan, écrivain australien aussi discret qu’efficace. Alors que la plupart des auteurs de Science-Fiction étiquetés « Hard-SF » s’amusent gentiment avec la relativité générale, la physique quantique et les nouvelles technologies, Greg Egan franchit plusieurs paliers qualitatifs et invente des histoires scientifiquement sans concession. C’est bien simple : personne ne lui arrive à la cheville, et cela d’autant plus que chaque nouvelle parution de l’auteur progresse encore dans la complexité.

Comme beaucoup d’auteurs centrés sur les idées, Greg Egan est d’abord un novelliste et ses recueils de nouvelles (Axiomatique, Radieux, Océanique) présentent toutes les facettes de son talent, depuis les spéculations physiques et mathématiques audacieuses jusqu’au transhumanisme débridé. L’inventivité de ses histoires en regard des contraintes scientifiques est remarquable et il faut noter que seuls quelques récits sont réellement ardus à suivre.

Etonnamment c’est dans sa production romanesque que Greg Egan s’avère le plus exigeant. Si ses trois premiers romans – Isolation, La cité des permutants et L’énigme de l’univers - étaient parfois difficiles, c’est à partir de son quatrième, Diaspora, que Greg Egan proposa son premier Everest de lisibilité. Ce qui n’empêche pas ce roman d’être souvent considéré comme son meilleur.

Diaspora se place dans un futur lointain où les humains sont partagés majoritairement entre humains biologiques souvent très modifiés, cyborgs mêlant biologie et technologies avancées, et consciences virtuelles vivants dans des communautés digitales aux règles diverses. Une tripartition classique dans la Hard SF mais qu’Egan explore jusqu’aux limites des possibilités réalistes – et cela va loin. Un monde donc plus étrange que familier, et qui se retrouve bouleversé par un cataclysme cosmique inattendu. Commence dès lors un sidérant voyage dans l’espace et le temps digne d’un H. G. Wells qui posséderait à la fois un doctorat de mathématicien, de physicien et d’informaticien – et même de biologiste et de neuroscientifique.

L’un des grands mérites de Diaspora est cet éloignement temporel qui permet de gommer de nombreux défauts souvent cités par les lecteurs d’Egan. Si notre auteur est un scientifique qualifié et un écrivain professionnel, son style possède la froideur d’un article universitaire et ses personnages hyper-rationnels apparaissent presque autistiques dans leur comportements émotionnels et sociaux. Heureusement ces défauts évidents dans les futurs proches de ses trois premiers romans donnent un air de normalité au futur très éloigné de Diaspora. Comble de ce renversement de perspective : on en arrive à regretter certaines actions trop humaines perpétuées par les consciences virtuelles. Si les relations d’amitiés et d’amours peuvent être des nécessitées psychologiques universelles, on comprend moins le maintien des relations sexuelles et de la parenté dans ces univers digitalisés.

Défaut plus évident, la structure du roman apparaît davantage comme une suite de nouvelles que comme un tout fortement lié. Plusieurs chapitres reprennent des nouvelles déjà publiés et l’écart temporel important entre chacun d'eux affaiblit l’impact de l’histoire malgré une cohérence générale impeccable. De même, si Diaspora propose de multiples idées incroyables qui chacunes auraient suffi à n’importe quel auteur de SF pour écrire un roman, il est dommage que le style tout factuel et analytique amoindrît l’aspect littéraire et merveilleux. Diaspora propose certes un très haut niveau de « sense of wonder », ce sentiment procuré qui reste le graal des auteurs SF, mais il aurait pu l’être encore plus.

Diaspora réussit tout de même une chose remarquable en offrant une conclusion satisfaisante à l’histoire. Là où la plupart des romans de SF se terminent soit en n’offrant aucune explication au mystère principal, soit par une explication dénuée de toute crédibilité, Greg Egan fonde son roman sur une théorie physique originale et cohérente qui permet d’éviter cet écueil du final SF décevant. On termine Diaspora comme on l’a commencé : en ne comprenant pas tout, mais en étant assuré que l’auteur ne s’est pas moqué de nous.

Diaspora, comme l’essentiel de l’œuvre de Greg Egan, ne plaira pas à tout le monde. Ce roman n’en représente pas moins une apothéose du genre de la Science-Fiction et mérite de trôner au côté de Dune et de 1984, dans une catégorie différente mais tout aussi importante littérairement. Pour paraphraser un célèbre film : Greg Egan n’est pas l’auteur que la SF mérite, mais celui dont la SF a besoin. Pour cela merci Mr Egan.

In_the_
9
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le 4 août 2022

Critique lue 146 fois

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