Ecotopia
7.2
Ecotopia

livre de Ernest Callenbach (1975)

Écotopia, c’est un peu le Pocahontas du XXIe siècle. L’homme moderne, — en la personne de William Weston — fort, fier et confiant en la suprématie de la civilisation capitaliste qui l’a enfanté, se rend chez les Sauvages, en Écotopia, dans ce pays qu’il juge retourné à l’âge de pierre en vertu de ses valeurs écologistes. Il réalisera au cours de son voyage que le camp de la sauvagerie et de la décadence n’est peut-être pas celui qu’il pensait être.


Derrière ce petit roman se cache le questionnement d’Ernest Callenbach : partant du principe qu’un système durable est certainement souhaitable, que donnerait une société aux antipodes de celle que nous avons bâtie ? Comment s’organiserait un monde résolument décroissant, désireux de préserver son milieu de vie plutôt que de l’épuiser et de considérer ses citoyens dans leur dimension humaine plutôt que comme des outils à exploiter ?


Écotopia est sa réponse, pays que l’on découvrira à travers le regard de Will, le journaliste américain qui jouera les John Smith de circonstance. Par ce choix narratif, Callenbach accouche d’un récit qui alternera les articles destinés à la publication dans le Times-Post et les extraits de journal intime du protagoniste. Écotopia prend donc la forme d’une description minutieuse et pédagogique de ce mystérieux pays ; un choix à double tranchant puisque d’un côté, on comprend bien les enjeux et le fonctionnement de cette utopie écologique, mais de l’autre, la lecture s’avèrera un peu austère. Qu’on se le dise, Écotopia est un ouvrage plutôt cérébral, qui manque de pathos et de romantisme, et qui tient parfois plus de l’essai que du roman. Selon ce qu’on y cherche, ce ne sera pas nécessairement un gros défaut, mais mieux vaut en être averti pour éviter les mauvaises surprises.


Il serait dommage cependant de s’arrêter en si bon chemin, car la société imaginée par Callenbach mérite qu’on y accorde de l’attention. Écœurée par la logique invasive et autodestructrice de la société d’hyperconsommation américaine, l’Écotopia décide de revenir à un mode de vie respectueux de l’environnement. Ici, il n’est pas question de s’accommoder de petits changements à la marge comme nous le promet « la croissance en verte », mais d’un véritable changement de paradigme. En Écotopia, la décroissance vient dynamiter le consumérisme qui fait loi dans le reste du monde, et ce sont toutes les sphères du système qui sont impactées. La vie économique, sociale et politique est bouleversée. Travail, énergie, agriculture, transport, éducation, santé, divertissement : William Weston détaillera au fil de ses articles tous les aspects de la vie écotopienne et se retrouvera bien forcé d’admettre que cette société est en réalité bien loin de la déchéance attendue.


On se gardera bien cependant de ne voir dans cette fiction qu’une fable propagandiste. Ernest Callenbach a l’intelligence de ne pas verser dans l’optimisme obsessionnel, et nous présente une société qui n’est pas non plus dénuée de défauts. L’Écotopia n’est pas une vision rêvée, idéale et, fatalement, inatteignable. Vers la fin du livre, le protagoniste écrira notamment, après nous avoir exposé quelques sources de détresse chez les citoyens :



On peut néanmoins douter que les Écotopiens soient plus heureux que les Américains. Il parait probable que divers modes de vie impliquent toujours des inconvénients qui équilibrent les avantages, et des avantages qui à leur tour contrebalancent les inconvénients. Peut-être les Écotopiens sont-ils seulement heureux et malheureux autrement que nous.



L’Écotopia est une société aux valeurs différentes, portée sur l’écologie, l’humanisme et la solidarité, mais n’est pas la société parfaite. Elle est un système durable avant tout, ce qui semble évidemment souhaitable, le meilleur possible. En témoigne la préface du traducteur à propos de l’œuvre :



Écotopia est, selon son auteur Ernest Callenbach, « une semi-utopie » : non pas la description littéraire d’un monde parfait, mais celle d’un monde perfectible qui serait néanmoins « sur la bonne voie ».



Au final, plus qu’une supposée perfection de cette société, c’est sans doute la redoutable clairvoyance de l’œuvre de Callenbach qui marquera. Car elle date de 1975, mais elle aurait été écrite cette année qu’elle tiendrait toujours autant de l’anticipation. Ça fait cinquante ans que notre manière d’habiter cette planète pose question, mais que rien ne bouge. Nous ne sommes toujours pas décidés à sortir de cette stase au fond de laquelle on repose comme des enfants gâtés et mécontents. En 2021, si l’on parle effectivement davantage de climat, c’est toujours l’inaction qui fait loi, tandis qu’écologie et décroissance continuent d’être gentiment moquées comme l’Écotopia l’est des Américains du récit. Réaliser cette absence d’évolution des idées, cet arrêt temporel étalé sur cinq décennies, c’est réaliser la condition d’arriérés qui est la nôtre.


Peut-être faut-il y voir la preuve que c’est précisément d’ouvrages comme Écotopia dont on a besoin. Car, autre aspect frappant, il s’agit d’une utopie ! Quand on pense anticipation dans la littérature de SF, ce sont les ténors de la dystopie qui nous viennent en tête : 1984, Le Meilleur des Mondes, Farenheit 451, etc. Mais combien pensent spontanément à une utopie positive ? Même dans notre culture, tout se passe comme si on avait parfaitement intégré qu’on allait dans le mur, mais que la possibilité d’un changement de paradigme ouvrant de nouvelles perspectives peinait à pénétrer les consciences. Parce qu’on manque d’ouvrages qui nous invitent à repenser le monde, qui nous incitent à la proactivité plutôt qu’à l’observation passive et complaisante d’un inévitable délitement. Écotopia est l’un de ces ouvrages. Et c’est peut-être avec ce genre de livre qu’on devrait s’éduquer davantage.

Gilraen
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le 9 juin 2021

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Gilraën

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