Paru en 1967 (et récompensé par le prix Fémina), ce roman est situé en 1957, en pleine guerre d’Algérie. Elise, Le personnage central a alors 15 ans. Depuis toujours Elise est fascinée par son grand frère Lucien. Or Lucien s’éloigne un peu d’elle par la force des choses (sa vie sentimentale décolle). Ils ont été élevés en province par leurs grands-parents.

Marié, Lucien laisse sa femme avec ses grands-parents pour monter gagner sa vie à Paris. Il est embauché comme ouvrier dans une usine Renault. A l’éloignement sentimental, Lucien a ajouté l’éloignement géographique. Mais le lien privilégié existe toujours, car Lucien incite Elise à le rejoindre (elle et non sa jeune épouse).

Grâce à son frère, Elise est embauchée chez Renault et elle trouve une chambre dans un foyer. A l’usine, on lui attribue une tâche de vérification dans le travail à la chaîne dont elle découvre le côté pénible comme la solidarité. Elle découvre aussi sa condition féminine, car les ouvriers la regardent. Parmi eux, de nombreuses nationalités. Le rythme soutenu ne l’empêche pas de faire la connaissance des uns et des autres. C’est ainsi qu’émerge la personnalité d’Arezki l’algérien, à une période où les algériens sont considérés comme des ennemis par les policiers. Une époque également où la lutte clandestine s’organise.

L’écriture de Claire Etcherelli est très impressionniste. Une merveille de sensibilité dont le style d’une remarquable fluidité happe littéralement le lecteur dès les premières pages. Tout sonne incroyablement juste ici. Que ce soit la découverte de la vie par Elise (travail, amour, projets, la ville de Paris, etc.), ou bien les relations entre les uns et les autres, sans oublier l’ambiance à l’usine et les tensions entre français et algériens. Claire Etcherelli a le souci du détail et elle se montre capable de nourrir son histoire de multiples petits riens qui immergent complètement le lecteur dans un univers où on se sent à l’aise malgré certains aspects plutôt délicats. Un roman intimiste d’apprentissage qui donne des impressions très justes sur une époque et des états d’esprits.

Un aperçu des pensées d’Elise dans le bus en allant au travail le matin :

« J’avais cinquante minutes d’irréalité. Je m’enfermais pour cinquante minutes avec des phrases, des mots, des images. Un lambeau de brume, une déchirure du ciel les exhumaient de ma mémoire. Pendant cinquante minutes, je me dérobais. La vraie vie, mon frère, je te retiens ! Cinquante minutes de douceur, qui n’est que rêve. Mortel réveil, porte de Choisy. Une odeur d’usine avant même d’y pénétrer. Trois minutes de vestiaire et des heures de chaîne. La chaîne, ô le mot juste… Attachés à nos places. Sans comprendre et sans voir. Et dépendant les uns des autres. Mais la fraternité, ce sera pour tout à l’heure. Je rêve à l’automne, à la chasse, aux chiens fous. Lucien appelle cet état : la romanesquerie. Seulement, lui, il a Anna ; entre la graisse et le cambouis, la peinture au goudron et la sueur fétide, se glisse l’espérance faite amour, faite chair… »
Electron
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Lus en 2011

Créée

le 25 nov. 2013

Critique lue 854 fois

18 j'aime

2 commentaires

Electron

Écrit par

Critique lue 854 fois

18
2

D'autres avis sur Élise ou la Vraie Vie

Élise ou la Vraie Vie
TrynKa
7

Pauvre Martin

Élise mène sa dure vie de femme et chaque journée ressemble à la veille. "Montée" à Paris pour mener une vie de rêve, elle trouve un travail dans une usine. Il y a aussi son amant algérien, qu'elle...

le 2 mars 2015

3 j'aime

Élise ou la Vraie Vie
Raider55
7

Plongée dans le prolétariat et la xénophobie

Claire Etcherelli n'avance pas à demi masquée lorsqu'elle écrit "Élise ou la Vraie Vie". Elle est Elise. De Bordeaux jusqu'à la chaine de montage parisienne. Les combats de l'héroïne sont les...

le 26 mai 2021

2 j'aime

1

Élise ou la Vraie Vie
zardoz6704
8

Un homme n'aurait pas pu écrire ce livre.

C'est le premier livre écrit par une femme où je me dis que oui, un homme n'aurait pas pu écrire cela. Elise ou la vraie vie raconte l'histoire d'une romance entre une jeune femme qui découvre...

le 21 janv. 2017

2 j'aime

Du même critique

Un jour sans fin
Electron
8

Parce qu’elle le vaut bien

Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...

le 26 juin 2013

111 j'aime

31

Vivarium
Electron
7

Vol dans un nid de coucou

L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...

le 6 nov. 2019

78 j'aime

4

Quai d'Orsay
Electron
8

OTAN en emporte le vent

L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...

le 5 nov. 2013

78 j'aime

20