Enfantines
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Enfantines

livre de Valery Larbaud (1977)

À mon sens, raconter une histoire avec des yeux d’enfant est l’une des plus grandes difficultés que l’écriture puisse proposer. Je ne pense pas que Valery Larbaud ait écrit ses Enfantines dans le but de s’y confronter, mais le fait est qu’il s’y heurte. Le fait que ce livre soit constitué de huit nouvelles ne résout pas entièrement le problème : il peut, à la rigueur, contourner la difficulté en proposant des récits mieux troussés (mettons « Le Couperet » ou « Devoirs de vacances ») que d’autres (mettons « L’Heure avec la figure » ou « Portrait d’Éliane à quatorze ans »).
Incontestablement c’est bien écrit – construction des phrases, rythme, sonorités, et ce que les programmes scolaires nomment réseaux de mots : « Avec nos cheveux aplatis sur nos têtes par un long peigne arrondi, et nos nattes repliées et enfermées dans une résille noire, vous n’imaginez pas comme nos visages paraissaient durs. Et nous étions en effet dures les unes pour les autres, et malheureuses » (incipit de « Rose Lourdin », p. 9 en « Imaginaire Gallimard »). Parfois, on dirait même du Vialatte : « Il se recule un peu, sur le banc où il est assis, pour faire place à Dembat et à la petite Rose, qui ne sont pas des êtres visibles, mais qui sont bien plus dignes d’intérêt que Devincet et que tous les amis de papa » (p. 35-36) – et Dieu sait combien j’adore l’univers des récits de Vialatte.
Et puis dans un sens, c’est très fidèle. Pour conclure le premier portrait d’une jeune pensionnaire dont la narratrice est manifestement amoureuse, Larbaud écrit : « Je n’aurais pas pu dire comment ceci avait commencé : j’aimais sa vie » (p. 13). C’est exactement ce qu’à l’adolescence, j’aurais pu dire de celle dont j’ai été amoureux, et je me plais à imaginer que nous sommes quelques millions qui auraient pu le dire. (Du reste, il est possible que j’aie écrit dans mon journal d’alors quelque chose comme j’aime sa vie.) J’insiste sur ce point : à l’adolescence. C’est-à-dire qu’une fois adulte, ce n’étaient plus d’une vie que je fus amoureux, mais de celle qui la vivait.
Seulement, une chose me gêne dans les Enfantines : une sorte de fausse douceur dans la narration qui fait ressembler ces nouvelles à des démonstrations trop mal déguisées. Larbaud – en tout cas le Larbaud de ce recueil – fait trop souvent avancer son lecteur comme un cheval de labour, en le corrigeant d’un coup de fouet s’il daigne tourner la tête – à défaut de l’avoir équipé d’œillères. « Nous savions bien, quand nous disions : En novembre, en décembre prochains…, que nous nommions une époque à laquelle Dorothy Jackson ne serait plus. Elle était si malade que la vie et la mort semblaient se mêler en elle » (p. 94) : c’est gentil, Valéry, de nous parler ainsi de l’héroïne de « Dolly », mais tu aurais pu nous laisser le plaisir de le découvrir seuls.

Alcofribas
7
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le 5 mars 2019

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