Tentatives pour trouver la vie juste

Si ces textes sont rédigés par Musil dans un souci alimentaire, ils sont des terrains d'expérimentation formidables où se déploient toutes les profondeurs de l'âme humaine, et préparent en cela l'avènement de la grande œuvre - dont l'auteur ne peut justement espérer tirer subsistance. Défaut commun à un grand nombre de jeunes écrivains et à vrai dire à une époque, on sent un maniérisme voire une préciosité dans les écrits du début des années 1910. La guerre effacera tout esthétisme guindé pour ne conserver que ce qui était déjà présent chez Musil : une précision de chirurgien et un cerveau (les quelques extraits donnés ci-dessous devraient suffire à le montrer). Que le discret Philippe Jaccottet soit remercié pour ses services - car c'était certes une gageure que de traduire ces textes pour nous offrir le laboratoire du vivisecteur de l'âme.

Quelques mots toujours aussi prématurés qu'une chaude journée de février :

"Le bousier : comme symbole de l'esprit." Je vois ici la rumination de Nietzsche - dont Musil est un lecteur hors de pair - poussée un plus loin dans la chaîne trophique. La rumination de la vache n'est-elle pas le préalable de la bouse ?

"Le paradoxe lui-même a besoin d'une vérité sur laquelle prendre appui." À rapprocher de certaines thèses de Wittgenstein développées dans De la certitude.

"Rime et rythme comme atavismes." Dans une concision à faire pâlir une concierge, la formulation d'une idée oubliée par le philosophe du langage.

"La mystique dégénère en masochisme ascétique, la supériorité intellectuelle en combinaison d'échecs, les joies de l'exercice physique ou de la compétition en obsession du record."