24 août 1944 : dans la campagne de l’Yonne, département tout juste libéré, Marianne Marceau court pour échapper à la horde rugissante qui la poursuit pour la tondre, l’accusant de «collaboration horizontale» avec l’occupant allemand.


«Marianne court sur la route de l’Ecarris. Ses pieds la font souffrir, ses poumons la brûlent. Derrière elle gronde la rumeur de la foule à ses trousses. Ils sont une vingtaine, peut-être davantage. Au début, ils étaient plus nombreux mais certains, les gamins les plus jeunes, les vieilles, les mères avec leur bébé, ont fini par battre en retraite. La plupart de ces gens connaissent Marianne, au moins de vue, mais leur acharnement en est décuplé. Elle revoit leurs visages enflammés par la haine. Leurs gueules ouvertes, prêtes à mordre. Leurs hurlements de bêtes. Ces cris de la meute, quand elle s’embrase. Une rancœur venue du fond des âges, du fond des tripes.»


Soixante et onze ans plus tard, dans les derniers jours d’août 2015, le capitaine de gendarmerie Garance Calderon est appelée dans la propriété des Marceau pour enquêter sur le décès de Mehdi Azem, professeur d’histoire-géographie au lycée de la ville toute proche de Sens, installé là depuis quelques semaines et retrouvé mort en bordure du lac de la propriété, alors qu’il s’intéressait justement à l’histoire et à l’humiliation de ces femmes tondues.


Suicide, accident de chasse ou meurtre ? Garance Calderon, capitaine de gendarmerie professionnellement solide, mène l’enquête tambour battant avec ses bottes en caoutchouc et ses robes à fleurs. Mais le monstre menaçant de son passé tragique refait surface tandis que ses investigations progressent, au cœur d’une famille de paysans minée par les stigmates de la guerre et de la collaboration, par la violence sociale et les haines recuites.


«Après cette entrevue, Garance démarre le quatre-quatre et roule vers L’Hermitage. Elle accélère et les nuages se désagrègent autour de sa voiture. Elle roule le plus vite possible pour échapper au passé qui reflue. Son grand-père, sa mère. Le tiroir qui claque. L’eau, l’écume. La poussière et le vent. Elle roule si vite qu’elle s’évade au loin, se dissout dans les teintes dorées qui l’entourent et redevient par la grâce de la vitesse un être sans passé.»


Malgré une ambiance obsédante et cruelle, où la sauvagerie et les spectres du passé enfouis pendant des décennies ressurgissent avec force sur le terreau de la misère sociale contemporaine, malgré des personnages de femmes marquants et contrastés, révoltée comme Marianne Marceau, cherchant à briser les entraves de son passé comme Garance Calderon ou ayant décroché du réel pour fuir la barbarie, «Et ils oublieront la colère» accumule les scories qui compliquent l’intrigue, des résonances qui semblent «artificielles» entre le passé de Garance Calderon et son enquête, et qui affaiblissent cette intrigue d’un noir d’encre bien construite, en allers-retours entre 1944 et 2015, jusqu’à son ultime rebondissement.


Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/09/25/note-de-lecture-et-ils-oublieront-la-colere-elsa-marpeau/

MarianneL
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le 25 sept. 2015

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