Lire "Etoile distante" est comme se pencher au dessus d'un trou noir qui ne se referme pas. «La mort est mon cœur» écrit Carlos Wieder aux commandes de son avion dans le ciel du Chili.


Sous le régime d'Allende, dans les ateliers de poésie de Juan Stein et de Diego Soto au Chili, le narrateur rencontre Alberto Ruiz Tagler, poète autodidacte, charmeur élégant, détaché et incertain. Le style de Ruiz Tagler séduit les poétesses de ces ateliers, autant qu'il irrite le narrateur et son ami Bibiano, tout en étant le centre de leurs conversations.

En 1973, Pinochet est au pouvoir et Ruiz Tagler a maintenant l'identité de Carlos Wieder. Il est l'incarnation de l'audace et de la confiance en soi pour ceux qu'il fascine, il est l'incarnation du mal pour le mal, la rage pure et inutile, assassin en série, artiste utilisant les photos de ses meurtres pour une exposition (dont Bolaño ne mentionne que les effets sur ses spectateurs), officier du régime et pilote poète écrivant dans le ciel ses vers macabres.

«Quand il revint à Punta Arenas, Wieder déclara que le plus grand danger avait été le silence. Devant la stupeur feinte ou réelle des journalistes, il expliqua que le silence était les vagues du Cap Horn lançant leurs langues vers le ventre de l'avion, des vagues semblables à de monstrueuses baleines melvilliennes ou pareilles a des mains coupées qui essayèrent de le toucher pendant tout le trajet, mais silencieuses, bâillonnées, comme si à ces latitudes la son avait été l'apanage des hommes. Le silence est pareil à la lèpre, déclara Wieder, le silence est pareil au communisme, le silence est pareil à un écran blanc qu'il faut noircir.»

Bien qu'il nous tienne à distance du mal en nous laissant imaginer le pire, Roberto Bolaño, autour du destin du Chili et des sympathies néo-nazies du régime Pinochet, ouvre ici un abime - la fascination pour le mal, et l'alliance fatale du mal et de l'art.

«Le mal froid est comme l'ombre de l'humanité et nous accompagnera toujours.» (Roberto Bolaño)
MarianneL
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le 30 mai 2012

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