La passion du vide
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le 8 juin 2012
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Livre devenu culte que l'on adore ou que l'on déteste, Extension du Domaine de la Lutte est l'exemple même du récit qui ne laisse personne -du moins de ma connaissance- indifférent.
Pourtant, si on met évidemment de côté la personnalité de son principal protagoniste, le synopsis est d'un ordinaire presque rebutant. Il raconte environ 6 mois de la vie d'un jeune cadre moyen en informatique parisien, motivé par pas grand chose (et surtout pas par son travail) et ne faisant à peu prés rien en dehors du boulot-métro-dodo, du moins dans la première partie du livre. Fascinant non ?
Mais qui est vraiment intéressant dans le premier roman de Houellebecq, c'est le contraste absolu et tranchant, entre d'un côté le mal-être affiché, voir pratiquement revendiqué, par ce personnage principal à la fois abattu et écorché vif et de l'autre l’extrême banalité et apparente innocuité de tout ce qui fait finalement son quotidien.
Car l'homme avec qui nous faisons connaissance au début du livre est jeune et physiquement en bonne santé, même s'il fume un peu trop. Il a un travail, bien payé de surcroît et un logement individuel, Sa place dans la société est, en toute objectivité, bonne. Par ailleurs, tous ses interlocuteurs dans le livre sont au mieux sympathiques (son collègue Tisserand pour commencer) et au pire neutres et impersonnels avec lui. Malgré le fait qu'il soit d’évidence assez peu avenant comme gars, personne dans son entourage ne lui manifeste vraiment de l'hostilité. Il n'est pas exclu ou isolé par les autres. Il est même invité à des soirées comme on le voit dans le premier chapitre.
Aprés il est évident que l'on peut aller trés mal à l'intérieur de soi, tout en ayant une position sociale et professionnelle tout à fait bonne et estimable. Sauf que, dans le livre-et c'est là que ça devient intéressant- le personnage semble toujours rendre son entourage professionnel et humain responsable de tout son mal être et jamais vraiment lui-même. D'ailleurs, dans un passage, il se décrit lui-même comme étant normal, "normal à 80% car qui l'est exactement ?" précise t-il.
De plus, il ne parle jamais de son passé, ni -à l'exception de sa dernière séparation évoquée à travers une courte scène- de son vécu antérieur au récit. Rien ne transparaît non plus sur ses origines géographiques ou sur sa famille. Il semble être une sorte de personnage, cantonné aux événements qu'il vit et dépourvu de racines et d'attaches extérieures au récit.
Toutes les raisons de son abattement et manque d'enthousiasme pour la vie semblent en permanence imputées aux autres sans que les raisons n'en soient jamais vraiment données au lecteur. Personne ne lui fait pourtant de crasses et il ne confronte jamais les gens en face. Tout passe par une sorte d'attitude sarcastique ou passive-agressive, alors même qu'on ne lui demande rien d'impossible et ne lui fait strictement rien de méchant. C'est comme s'il se focalisait uniquement sur le négatif en ignorant délibérément le positif en chacun.
Raconté comme ça, ça donne vraiment l'impression du portrait d'un sale con. Il n'en demeure pas moins que le personnage est totalement sincère dans ses attitudes. Il ne joue pas un rôle (quel intérêt d'ailleurs?) et ne tire absolument aucun avantage de cette façon de fonctionner. Bien au contraire, elle aura des conséquences lourdes, sur lui-même, dans la suite du livre que je ne dévoilerai pas ici.
De plus, le personnage peut compter, pendant tout le récit, le talent de Houellebecq qui réside dans son style acerbe et corrosif et cette façon de dépeindre une façon parfaitement nihiliste les événements et les rencontres les plus ordinaires qu'ils soient.
A côté de cela, les moments plus "philosophiques" du livre, ou l'auteur monologue simplement en direction du lecteur et lui développe sa pensée, notamment en matière de sexualité et de rapports de force dans la société moderne, sont les moins convaincants et les plus barbants. On a souvent l'impression d'enfoncer des portes ouvertes et surtout envie que le récit à proprement parler reprenne son cours
Enfin, il faut souligner que, pour faire passer cette pilule qui peut paraître indigeste, on peut s'appuyer sur l’écriture particulièrement maîtrisée et incisive de l'auteur. A ce niveau là il faut noter que le dernier chapitre et plus encore les quelques derniers paragraphes du livre sont particulièrement sublimes. Pour moi, il demeure, avec Sérotonine, le meilleur Houellebecq à ce jour.
Créée
le 28 sept. 2025
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