Récit d'une odyssée désabusée, d'un égarement dans les méandres d'une sexualité compulsive, mais aussi d'un vacillement identitaire, Fake est une œuvre singulière.
Pour me la péter lacanien, je commencerai par souligner que le protagoniste de ce "roman", nécessairement autobiographique, est un spécialiste de René Crevel, membre météorique du groupe surréaliste ; or, le traducteur de Crevel "crève d'elles", de ces coups d'un soir qu'il collectionne frénétiquement depuis qu'il s'est inscrit sur un site de rencontres.
Le "héros", pseudonyme "Delacero", intègre par dépit amoureux un écosystème conjuguant misère sentimentale et sexuelle, et solitude alcoolisée. L'auteur, ce Giulio Minghini inconnu au bataillon, nous livre le récit d'une singulière addiction : chaque paragraphe ou presque de ce bref ouvrage est le fragment d'une chronique, celle d'innombrables rencontres avec des femmes qui, sur les sites, tout ensemble proies faciles et Diane chasseresses, s'adonnent au jeu cynique des corps interchangeables.
Sur un fond d'indifférence troublante, d'absence totale de sentiments (voire...), ce dragueur blasé, venu là par dépit amoureux, s'enferme petit à petit dans une quête permanente, et perpétuellement décevante, dont l'objet se dérobe. Pour frayer son chemin dans le labyrinthe consumériste du sexe à portée de clic, il publie des textes d'une étrangeté certaine sur les différents sites qu'il fréquente, et qui lui servent à rabattre des femmes intriguées par le caractère peu conventionnel de leur auteur ; plus largement, l'ouvrage lui-même s'apparente à une tentative de ressaisissement par l'écriture d'une expérience sauvage et déstabilisante.
Parfaitement amoral, probable autofiction plutôt que simple témoignage, Fake est un livre brillant, assez jubilatoire, servi par le style incisif, et souvent très drôle, de son auteur, en contrepoint du caractère assez désespéré de l'expérience qu'il met en mots.