Antonio Muñoz Molina est ici écrivain et personnage des rues de Manhattan, parcourues sac au dos et crayon à la main pendant des mois, de musées en cafés, de marchés en théâtres, de quartiers en galeries d'art et en librairies.


Ses fenêtres sont le cadre d'un tableau de Hopper, une aquarelle d'Alex Katz, elles s'ouvrent sur un film de Hitchcock ou d'Orson Welles, se font l'écho d'un morceau de Coltrane ou de Duke Ellington, renvoient le bruit du vent dans Central Park.


À travers elles, on entend la cébille qu'agitait Julius Rosenberg quêtant pour les orphelins de la guerre d'Espagne, on voit défiler les marcheurs de Giacometti dressant leurs silhouettes dans les amas de ferraille fumante des Tours jumelles.


Elles reflètent tous les mondes possibles, tous les passés et tous les présents, toute la densité humaine d'une ville sans égale. Alors, en écoutant la voix magnifique d'Antonio Muñoz Molina, le miracle de la littérature a lieu et l'imaginaire vital et culturel du lecteur se met lui aussi en marche pour aller à la rencontre d'un portrait unique de New York, qui est aussi un portrait moral de notre temps.
Les lignes des regards se croisent dans le vide de manière complexe, sans jamais se rencontrer
Un écrivain à Manhattan. Une ville réelle et imaginée, telle celle de Woody Allen. Là, un noir et blanc mythique d'un certain cinéma, ici, des bruits, des musiques ou comme ces tâches de couleur marquant « l'échine noire et humide de l'asphalte »
Il n'y a pas de lecture objective d'une ville. Lecture d'insomniaque, lecture d'amoureux, lecture d'après le 11 septembre…
Un espagnol « accablé par l'écart désolant entre ce qu'il croit savoir d'une langue et ce que sa bouche maladroite parvient à articuler ». Un écrivain stupéfait de « l'impression d'espace », des personnes « comme s'ils ne se regardaient pas »…
Promenades et réflexions, les immigrant-e-s d'hier et d'aujourd'hui, « vaste délégation de l'humanité qui toujours veut entrer à New-York », retours de mémoire, la splendeur et la crasse, la vitesse et « il n'existe pas de littérature qui puisse raconter pleinement la richesse d'une seule minute »…
Le cinéma, Hitchcock et Fenêtre sur cour, la peinture, Edward Hopper, la musique, le jazz, Central Park et dans une calèche Orson Welles et Rita Hayworth aux cheveux courts, Harlem, Cinquième Avenue, l'agitation, Greenwich Village, le « double prisme des Tours Jumelles », les poètes, la « solitude la plus extrême au milieu de la foule », le New-York Times…
Des policiers et des pompiers parcourant « les rues à toute vitesse en déployant la puissance de leurs sirènes, de leurs klaxons et de leurs gyrophares », prendre la mesure de la journée intacte, l'exil et la capitale « de tant de déracinements, de tant de rêves d'un monde ou de vie meilleure, accomplis ou écroulés », la stratification et la ségrégation sociale, « l'exhibition de l'argent et du luxe maniaque de l'accumulation »…
Hier et aujourd'hui, « Aucun simulacre de permanence n'amortit bien longtemps la trépidante perception de l'écoulement incessant des choses », des lieux, un saxophone, un tableau, un film…
La ville, les mythes, l'imagination et les projections mentales. Manhattan peut-être, des fenêtres certainement. Et qui se penche aperçoit une partie de lui-même…
« Comment distinguer la vérité de la fable dans une ville où l'une paraissait aussi invraisemblable que l'autre »


Extrait 1 : "il y a des dessins et des photos qui arrivent à saisir un instant, mais il n'existe pas de littérature qui puisse raconter pleinement la richesse d'une seule minute."


Extrait 2 : "une musique peut elle aussi être un cadeau immatériel de l'amour, une révélation aussi décisive que celle d'un mot dit au bon moment, qu'une promesse ou qu'un aveu"

HenriMesquidaJr
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le 21 janv. 2017

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