Franz Kafka
7.2
Franz Kafka

livre de Max Brod (1937)

Conflits et sac de noeuds existentiels

Le témoignage et les réflexions du meilleur ami de Kafka sont précieux, car ils remettent l'œuvre (tourmentée, pleine de détresse) dans un contexte biographique solide. "D'après sa mère, c'était un enfant fluet et délicat, sérieux, mais aussi espiègle à l'occasion, un enfant qui lisait beaucoup et n'aimait pas la gymnastique". Mais jeune homme, "il était bon cavalier, bon nageur, bon rameur". Franz Kafka est accessible aux joies humaines, manie volontiers l'humour. "Il émanait de sa personne un sentiment d'une force inaccoutumée, que je n'ai jamais éprouvé dans la présence d'autres hommes (...) La densité sans défaillances de sa pensée ne souffrait pas de lacune et il ne prononçait jamais une parole insignifiante."


Max Brod nous donne certaines clés de la vie de Kafka, confirmées depuis 1937, mais aussi modifiées par des travaux postérieurs. En résumé, je dirai que sa vie a été le champ d'un combat ou d'un conflit sur de nombreux plans. Conflits avec son père, avec la littérature (le salut par l'écriture), avec le judaïsme (condamnation de l'idolâtrie, sionisme/antisionisme), avec le monde féminin (fiançailles, mariage pour accomplir la loi), conflit sur un plan spirituel (la préoccupation du salut).


Grâce notamment à la "Lettre au père", Max Brod analyse longuement ses relations douloureuses avec son père : "Faiblesse du fils devant la force du père, qui est arrivé par ses propres moyens, et qui, se prévalant de ce succès et de la force indomptable à laquelle il le doit, se considère comme un parangon." Franz développe un sentiment d'infériorité et un complexe de culpabilité de ne pouvoir égaler la réussite paternelle (énergie, prestance physique, argent, famille). La lettre est lue par sa mère mais n'est jamais transmise, cela n'aurait fait qu'empirer la situation : "Le père était séparé du fils par sa nature, sans qu'il y eût évidemment faute de sa part." "C'est ainsi qu'il veut donner à son œuvre ce titre général : Tentation d'évasion hors de la sphère paternelle, comme si ses dons d'artistes, sa plénitude créatrice n'avaient pas procédé que d'eux-mêmes."


Le conflit entre ses obligations professionnelles et sa vocation d'écrivain s'exprime sans cesse dans le "Journal". Son désir d'indépendance investit la littérature d'une tâche quasi mystique. Franz veut réaliser son salut par l'écriture. Aussi le temps libre et les périodes de solitude manquent-ils cruellement. Kafka multiplie les affirmations telles que : "Ecrire est une forme de la prière.", "La disposition qui me porte à représenter cette vie intérieure et son déroulement de rêve a repoussé tout le reste au second plan (...) rien d'autre ne pourra me satisfaire." Mais comment se passer d'une profession ? Elle lui assure l'indépendance financière, même s'il continue d'habiter chez ses parents...


Né pour la solitude, Kafka est hanté par le désir d'appartenir à une communauté, ce qui alimente un nouveau conflit : "La solitude n'apporte que des châtiments". Sa pensée pleine d'apparentes contradictions vis à vis du judaïsme a certainement torturé le pauvre Max (sioniste très jeune) ! Franz était antisioniste pour lui-même et sioniste pour les autres... De même, il condamne l'idolâtrie ("Tu ne feras pas d'image taillée, ni aucune figure"), mais il oublie que cette interdiction devrait s'appliquer à la littérature. Peut-être s'en punit-il en laissant inachevés tant de textes, en répugnant à publier (malgré la pression exercée par Max Brod) et en lui demandant de brûler tous ses manuscrits à sa mort... Ce que l'ami Max refuse après de longues ruminations de conscience.


Le conflit avec le monde féminin est mieux connu aujourd'hui. Max Brod ne mentionne qu'une des fiancées sous le nom de F. (Felice Bauer vivait encore). La loi humaine oblige Kafka à se marier, à fonder une famille. Cela lui fait peur : rivaliser avec son père ? Impossible. Le mariage l'obligerait à renoncer à sa solitude, à sa vocation d'écrivain, à quitter son poste d'assureur. Alors Kafka se fiance deux fois avec Felice et renonce deux fois au mariage. Pourtant le tourment d'une vie en commun le sauverait du célibat qu'il méprise...

lionelbonhouvrier
7

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste FrAnZ KafKa ou la Plaie ViVe

Créée

le 5 mars 2020

Critique lue 100 fois

2 j'aime

Critique lue 100 fois

2

Du même critique

Pensées
lionelbonhouvrier
10

En une langue limpide, un esprit tourmenté pousse Dieu et l'homme dans leurs retranchements

Lire BLAISE PASCAL, c'est goûter une pensée fulgurante, une pureté de langue, l'incandescence d'un style. La langue française, menée à des hauteurs incomparables, devient jouissive. "Quand on voit le...

le 10 nov. 2014

30 j'aime

3

Le Cantique des Cantiques
lionelbonhouvrier
9

Quand l'amour enchante le monde (IVe siècle av. J.-C. ?)

Sur ma couche, pendant la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime ; je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé. Levons-nous, me suis-je dit, parcourons la ville ; les rues et les places, cherchons...

le 9 nov. 2014

23 j'aime

7