Gigi
6.8
Gigi

livre de Colette (1944)

Bien que je l'aie découverte sur le tard, je nourris pour la prose poétique de Colette une avidité insatiable, et il était tout naturel de lire ce recueil de 5 nouvelles avant de voir le film de Jacqueline Audry. Après les révélations qu'ont été Chéri, La mort de Chéri et La vagabonde, j'appréhende toujours un peu d'ouvrir un nouvel ouvrage... et si j'étais déçue ? Parce que, par exemple, La retraite sentimentale ne m'avait pas transportée. Sauf que dès la première nouvelle, Gigi, nous revoilà chez les demi-mondaines, mines d'anecdotes et de bons mots dans lesquelles Colette puise une matière à la fois riche et légère, où tremper une plume extrêmement alerte. Comment s'ennuyer quand les ortolans recèlent des périls insoupçonnés, les dandys se résolvent en soupirant à se savoir "mondiaux", tant le monde entier avait les yeux tournés vers cette France à la fois cacochyme et à la pointe de la mode, les grands-mères ne songeaient qu'à marier leurs descendantes au meilleur parti possible, les femmes se paraient de bijoux extravagants et d'étoffes qui aujourd'hui s'exposent dans des musées ? Colette fait son miel de tout ce décorum, mais n'oublie jamais le frémissement des passions humaines qui vibrionnent dans les intérieurs bourgeois policés. Et c'est bien entendu là qu'elle déploie la variété de son talent, en exerçant ses facultés d'observation sidérantes. Tout est toujours tellement juste dans ses lignes. Dans les nouvelles suivantes également, bien qu'elles soient d'un tout autre tonneau : l'histoire d'un enfant malade que la fièvre rend poète, à grand coup de trouvailles synesthésiques comme Colette les aimait tellement. Ou celle de La Dame du photographe, qui attente à ses jours quasiment sur un malentendu et se brouille avec sa voisine attentionnée. Ou encore celle, longue et débordante d'images, qui porte les noms de nymphes des jardins, Flore et Pomone, et nous emmène dans les allées de ceux que Colette a visités et aimés. Inutile d'adorer se salir les doigts dans la terre humide pour apprécier ce catalogue haut en couleurs et riche en odeurs, qui fait virevolter le regard d'une essence à l'autre et sollicite presque tous les sens, dans un tourbillon de sensations tellement dense qu'il pourrait étourdir. Toute la poésie de Colette est là, dans ce texte sans histoire, qui anime un univers sensoriel palpitant, juste pour le plaisir d'en éprouver la sensation. Et sans se départir de cet humour si piquant qui surgit au coin d'une phrase, inattendu et joyeux, avant de céder le pas à des considérations plus mélancoliques. Non, vraiment, elle est inimitable, Colette. Même quand elle raconte la journée de ses noces, dans une courte nouvelle, et dévoile, dans ce récit très balisé, l'innocence de la jeune fille qui se jetait tête baissée dans une vie nouvelle, inconnue, pleine de chausse-trapes et de promesses, mais bien éloignée du paradis originel, clos, hermétique et chaleureux que savait être la maison de Sido. Bref, un autre régal à l'accent bourguignon.

Créée

le 13 déc. 2020

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