Héliogabale
7.8
Héliogabale

livre de Antonin Artaud (1934)

Qu’est-ce donc ?
Une biographie.
Un conte.
Une histoire.
L’histoire d’une vie, de l’incertaine conception au bain de sang final, des temples solaires syriens aux eaux boueuses du Tibre auxquelles se mêlent les rejets des égouts, où la fange du peuple rejoint le faste du palais.


Et cette vie c’est celle d’Elagabalus, Héliogabale, homme et femme aux sens religieux de ces termes, au sens de tout, orient et occident, royal et galeux, anarchiste en son empire.
Lui qu’on mit sur le trône romain plus qu’il ne s’y hissa, au prix des trahisons, des mensonges et des crimes qui font cette époque. Elevé par les eunuques et les femmes ivres de pouvoir, les prêtres jouisseurs et les fous du soleil, dressé comme un emblème impérial, lui qui naquit d’un mensonge, ainsi fut fait Héliogabale, l’empereur pédéraste, ami des cochers, aux largesses royales, à la cruauté enfantine, stupide.
C’est donc une vie qu’on raconte entre rigueur documentaire et littérature. Le sérieux de la chose n’appelle nulle critique, force dates et précisions historiques sauront convaincre qui de droit. C’est l’épopée antique dans toute sa splendeur, la vie extérieure.


Et cette vie c’est celle d’Artaud, le mômo, de ses névroses indicibles, de son cœur noir et de ses peurs, pêle-mêle d’histoire et de délire opiacé, voile de pudeur à ses démons qui rongent l’âme et la conscience du génie. Il trouve en lui, Héliogabale, le purgatoire malléable que ses contemporains ne sauront lui offrir. La vie intérieure.
Artaud s’extasie, Artaud s’exprime, par le jugement péremptoire, l’analyse des restes limés de l’empereur trahi, vomit son trop plein de mal-être sur les entrailles du prince solaire en qui tous les rêves sont possibles.


A commencer bien sûr par le plus grand, la chimère poétique, l’idéal accompli.


Ainsi s’élève l’immonde fornicateur, porté vers une rédemption tardive par de nobles desseins anarcho-poétiques, visionnaire précoce au service d’une idée : la liberté par l’anarchie absolue. Anarchie du corps et de l’esprit, en action spectaculaire, offerte ou imposée, puis dans l’intimité, choyée comme un art de vivre, étendue à toute chose, faite loi et empire, comme le refus du fait humain, de la contrainte même de la naissance, du berceau de sperme fondateur, de la double royauté, solaire et bassement humaine.


Ce rejet global, prêté au capricieux monarque, cette intelligence macabre, peut-être la connut-il, l’espace d’un instant ou celui d’une vie, peut-être la conceptualisa-t-il sans en laisser nulle trace, trop occupé à vivre pour se perdre à écrire, peut-être n’en eut-il même jamais conscience. L’histoire est aux historiens et l’anarchisme maniaque qui bouillonne en ce livre, c’est bien celui d’Artaud, parfait miroir ou savant conteur, grand rêveur poétique.


Lors, oui, cette biographie est double. Elle est autant ancrée dans un lointain passé, aux mœurs toutes autres, que marquée au fer rouge de l’instantané d’un être. Antonin Artaud a mis ici plus de lui-même qu’il n’osa jamais auparavant. La grande confession, le déballage masqué.
Quoi d’étonnant alors à ce que le récit se passe de conclusion.
Là où s’achève sans épitaphe l’existence démesurée d’Héliogabale, s’ouvre une nouvelle ère dans la prose d’Artaud, loin, très loin, d’une épitaphe.

-IgoR-
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le 17 janv. 2016

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-IgoR-

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