Hell
5.5
Hell

livre de Lolita Pille (2003)

Je suis une pétasse. Moi non plus.

Avant, quand j'étais une branleuse dépressive - oui, ça va encore être une critique qui parle assez peu de littérature, je m'en rends compte, et m'en excuse en préambule - je lisais un peu n'importe quoi, même beaucoup, n'importe quoi. Allez savoir par quel miracle, ça m'a poussé à lire plus grand et plus beau. Bret Easton Ellis était un génie, Beigbeder* attendait son prix Goncourt, si si ! et de mon côté, j'trouvais même que la cocaïne c'était trop fou. J'avais presque tout faux ; j'aime toujours autant Ellis.

Au milieu de toutes ces petites folies littéraires, pour passer le temps entre deux découvertes toujours plus lassantes, je me délassais avec un livre comme celui là. C'était chouette, parce qu'il y en avait un peu partout, des différents, au chevet des filles que je, trainaît chez elle ; il y avait Amélie bien sûr, l'intello un peu chiante, et puis Virginie, la méchante, Ann, la rebelle et puis, Lolita, la gamine, Lo, la belle petite pétasse, Li, qui n'en a rien de foutre de rien, Ta ; avec le temps, c'est pour elle que j'ai gardé la plus grande tendresse - mais pas la plus grande estime, comme quoi, le coeur, mine de rien, c'est pas fiable comme baromètre. Et ce livre, Hell, c'est elle, tout elle. <3

Hell, c'est le manifeste d'une génération, d'une pétasse, un manifeste écrite par une petite fille gâtée, tellement triste et tellement seule, Hell c'est le premier roman d'une petite Sofia Coppola privée de la dignité de sa longue descendance italienne. D'ailleurs, c'est l'histoire de Hell, c'est son nom - enfin, elle s'appelle Ella dans la vraie vie, mais dans son coeur plein de rage, elle s'est surnommé Hell, parce que ça représente. Hell n'aime rien, elle n'a envie de rien, elle traîne dans la haute bourgeoise parsienne, perdue entre une vague volonté de dénonciation et son incapacité à vivre, pauvre petite feu follette. Alors elle compense, comme les grands, toujours entre Xanax et cocaïne elle traverse les nuits et que faire, dans cet état, sinon chercher l'amour ? Non, en fait, elle baise, c'est déjà pas mal notez, jusqu'au jour où le trop beau garçon. Ça vous laisse tout de suite un peu rêveur, non ?

Je vous ai déjà un peu raconté tout ça, dans Les jolies choses, le style blog, qui navigue entre froideur et colère explosive, les phrases déchiquetées à coup de lames de rasoir ; ici, il y a tout ça, avec une touche d'adolescence mal finie, c'est une petite fille surexcitée, agressive et complètement coc'ée, qui nous crie dessus son petit malheur bourgeois - ou peut-être son malheur petit-bourgeois - avec des mots trop grands pour elle, voyez vous même ses premières pages - qu'on écrit un jour, tout seul, d'un coup, avec une évidence frappante :

"Je suis une pétasse. De celles que vous ne pouvez supporter; de la pire espèce, une pétasse du XVIe, mieux habillée que la maîtresse de votre patron. Si vous êtes serveur dans un endroit branché ou vendeur dans une boutique de luxe, vous me souhaitez sans doute la mort, à moi, et à mes pareilles. Mais on ne tue pas la poule aux œufs d’or. Aussi mon engeance insolente perdure et prolifère‑t‑elle…
Je suis le symbole éclatant de la persistance du schéma marxiste, l’incarnation des Privilèges, l’effluve capiteux du Capitalisme.
[...]
Je suis un pur produit de la Think Pink generation, mon credo : sois belle et consomme.
Embrigadée dans le tourbillon polycéphale des tentations ostentatoires, je suis la muse du dieu Paraître sur l’autel de qui j’immole gaiement chaque mois l’équivalent de votre salaire.
Un jour, je ferai sauter mon dressing.
[...]
Je suis un peu caricaturale. Avouez que vous me prenez pour une sacrée conne en total look Gucci, sourire bleeching et cils papillonnants.
[...]
Vous savez, le monde est divisé en deux, il y a vous et puis il y a nous. C’est sibyllin, je vous l’accorde…"

J'arrête là, je pourrais continuer des heures, des pages, relire le livre d'une seule traite au lieu de me coucher, m'enthousiasmer pour cette petite branleuse si contraire à tout ce que j'aime et que j'aime tellement pourtant, je lis ces lignes avec un sourire inimaginable, attendri et bienveillant. D'un coup, il me revient des tout petits bouts de l'histoire, la scène de l'avortement et sa bizarre distance et Andréa le garçon trop beau qui laisse une autre pétasse attachée à un radiateur, des souvenirs flous, et ma tristesse de ne plus me souvenir au chevet de quel lit j'ai un jour lu ce livre.

Il est temps que je m'arrête, ne gâchons pas la surprise ! Et pour vous donner encore plus envie Grasset nous offre même le premier chapitre (http://2doc.net/n2rgl) ; quel délice !

* Soyez pas trop dur avec nous, son Dernier inventaire avant liquidation m'a sauvé un jour.

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le 20 déc. 2013

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J. Z. D.

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