Relecture terminée, aucun regret ni jugement à réviser. La force incroyable du livre tient, entre autre, dans ses dialogues, qui servent finalement d'analyse politique et militaire des situations exposées par le récit. Dans ces moments d'incertitude, l'impérialisme est montré tel qu'il est, qu'il soit le fait d'une cité démocratique, d'un peuple mal conseillé, ou d'oligarques sans scrupule. Thucydide insiste sur la logique des événements, les considérations morales sont laissées au lecteur. Le dialogue des Méliens, le livre III et les discours opposés de Cléon et de Diodotos ressortent tout particulièrement. Pour des raisons différentes, le livre I, malgré son état d’inachèvement, est absolument admirable. Une telle hauteur de vue, un jugement aussi sûr sont aussi rares que précieux.
Thucydide est prêt à accorder son admiration aussi bien au spartiate Brasidas qu'au chef du parti populaire Thémistocle, pourtant souvent égratigné par d'autres historiens et sans doute "politiquement" (la logique des opinions dans la polis grecque n'est pas celle de la démocratie parlementaire moderne et de ses partis politique, même en raccourci) éloigné des opinions que l'on peut prêter à Thucydide. Même les qualités du détesté Cléon ressortent malgré l'auteur, comme la profonde nullité du plus estimé Nikias. Il est donc curieux que certains aient voulu l'accuser d'avoir écrit son livre pour justifier son attitude personnelle pendant la guerre, mais lorsque l'on voit une descendance directe entre les héros de Marathon et le libéralisme moderne, Miltiade en défenseur de la démocratie américaine, on peut je suppose se permettre d'enseigner à Yale et d'être dérangé par Thucydide. Mais même chez ceux-là, on s'incline devant l'intelligence de l'athénien. Bref, je me comprends.
Le livre VIII est également passionnant en ce qu'il permet de comprendre la méthode de l'historien, celui-ci n'ayant visiblement pas eu le temps d'y polir autant la narration pour en faire ressortir les ressorts. L'accumulation des faits précis n'est qu'une étape, le récit leur donne un sens. Démarche éminemment moderne si l'on veut bien en comprendre les conséquences.
Le souci de la précision historique tel que le concevait l'Athénien ne se retrouvera que bien des siècles plus tard. Son esprit d'analyse et son intelligence resteront des sommets de la pensée humaine, que nous ne pouvons que regarder avec humilité et tenter d'en tirer le plus possible. Les ressorts politiques ne sont peut-être plus exactement les même, mais la façon dont on peut tenter d'analyser ces rouages n'a sans doute pas tant changée.

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le 7 avr. 2015

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