Un ouvrage titanesque

Énorme coup de cœur pour cet ouvrage d'Anne Cheng, l'Histoire de la pensée chinoise est une somme qui traite en quelques 650 pages, de pas moins de 4 000 ans d'histoire de la pensée chinoise.

L'ouvrage se décline dans des chapitres brefs d'une vingtaine ou une trentaine de pages maximum (avec des notes en fin de chaque chapitre sourcant de manière systématique) contenus dans six parties chronologique, chaque chapitre, au-delà de la présentation générale du contexte etant surtout prétexte à des galeries de portraits de penseurs chinois, dont Anne Cheng s'efforce de nous fournir presque systématiquement des extraits de texte des œuvres qu'ils ont laissé. Ce découpage rend l'ouvrage presque surprenament facile à lire malgré un contenu conséquent et très dense.

Passant de la forme au fond l'ouvrage d'Anne Cheng permet de découvrir l'évolution de la pensée chinoise, de manière magistrale: certes l'œuvre est un peu déséquilibrée dans sa chronologie, accordant une attention toute particulière aux temps les plus anciens- les écoles sous les royaumes combattants sont à elles seules gratifiées de plus d'un quart de l'ouvrage, le bouddhisme ne se voyant consacré qu'un peu moins d'un dixième des pages malgré dix siècles à résumer.

Mais ce défaut ne suffit pas pour moi à entacher l'œuvre au point de lui mettre autre chose que la note maximale.

Anne Cheng nous propose en effet un voyage dans les écoles de pensées chinoises d'une ampleur considérable:

- s'attachant à montrer l'évolution au fil de l'eau de la pensée, elle sort des sentiers rebattus en présentant, aux côtés des célébrissimes Confucius et Lao Zi, des auteurs tout aussi essentiels, Zhuangzi, Mencius et Xunzi, mais aussi la pensée de Mozi, de Han Feizi et des Légistes, des logiciens, des nominalistes, la théorie cosmologique des Han, le néo confucianisme des frères Cheng et de Zhu Xi sous les Song, sa mutation comme orthodoxie et toutes les critiques dont il a fait l'objet jusqu à son effondrement peu avant 1911;

- poussant la logique chronologique jusqu'à son terme- la chute de l'Empire étant à mes yeux une borne acceptable- Anne Cheng présente aussi une vision qui fait la part belle aux relations entre le pouvoir politique, royal puis impérial chinois et la pensée d'une part, et prête attention à des périodes intellectuelles beaucoup moins connues de la Chine, du XVIe au XIXe siècle, avec ses évolutions, les débats et les contradictions qu'elle a pu vivre- même si l'histoire politique ou sociale contextuelle en est brossée (très) rapidement ;

- attachée à restituer la pensée des auteurs qu'elle cite son ouvrage est une profusion de citations de textes très différents, véritable anthologie de la pensée chinoise, mêlant les célèbres Tao Te King taoïstes et Entretiens de Confucius aux ouvrages biens moins connus des critiques et successeurs de ceux-ci, en prenant soin de renvoyer dans les chapitres ou pages qui leurs sont dédiés à quels passages antérieurs la pensée de ces epigones peut renvoyer ou faire allusion. Le livre est donc une mine de références à découvrir et donne des clés de compréhension et de prolongements de la réflexion qu'il engage tout à fait remarquable.