On a pu dire qu’il était presque impossible de faire la biographie d’un homme ou d’une femme de l’Antiquité, tant nous manquons d’informations ou de documents. C’est d’autant plus difficile quand la légende s’en est emparée. Le plus souvent, on pourra retracer quelques événements saillants de sa vie, mais presque tout le reste nous est définitivement inaccessible. La biographie que Maria Dzielska consacre à la philosophe et mathématicienne Hypatie n’échappe pas à ces écueils.

Le premier chapitre montre, de façon pertinente, comment s’est construit tout un mythe littéraire autour de la figure d’Hypatie : les Lumières, notamment avec Voltaire, en ont fait la victime du fanatisme du christianisme devenu religion officielle ; la tradition romantique, avec Leconte de Lisle, ont vu dans sa mort la fin de l’idéal grec antique, qui repose sur l’harmonie de la sagesse et de la beauté (Maria Dzielska montre également que tous ces auteurs modernes soulignent la beauté physique d’Hypatie, que n’atteste aucune source antique).

Le deuxième chapitre essaie, après la critique du mythe Hypatie, de donner une idée de l’Hypatie historique. La thèse de Maria Dzielska est qu’elle est morte moins pour des questions religieuses que parce qu’elle faisait obstacle aux ambitions politiques de Cyrille en soutenant le pouvoir laïc d’Orestes. Son travail est dans l’ensemble convaincant, et se fonde sur une bibliographie importante et de très nombreuses notes de bas de page.

Cependant, j’aurais aimé que son livre aille plus loin dans la vulgarisation pour le non-spécialiste que je suis. Ainsi, beaucoup de points importants ne sont pas justifiés dans le livre lui-même, mais font l’objet d’une simple référence en note, et il n’y a malheureusement presque aucune chance que je consulte les ouvrages ou articles très spécialisés mentionnés. Par exemple, l’autrice suggère que contrairement à ce que l’on pense, nous aurions la trace de quelques écrits d’Hypatie, qui auraient été attribuées par la postérité à son père Théon. C’est une information capitale, mais l’on devra se contenter d’une référence au travail du chercheur qui a formulé cette hypothèse, sans que son raisonnement soit réellement développé. C’est très frustrant, d’autant plus qu’à d’assez nombreuses reprises, des suppositions de l’autrice sont peu étayées et présentées comme des faits attestés. Ainsi la distance qu’elle semble montrer à son ancien élève Synésios et dont il se plaint est expliquée par des hypothèses sur la psychologie d’Hypatie et le souci de celle-ci de protéger son disciple des tensions politiques d’Alexandrie : nous n’en savons rien, nous ne savons rien du caractère d’Hypatie, du degré d’affection qu’elle portait à Synésios, et il aurait fallu l’admettre plus explicitement. De même, une thèse importante Maria Dzielska est qu’Hypatie entretenait des liens très ténus avec la religion païenne traditionnelle, et que par conséquent sa mort ne relève pas d’un conflit religieux mais davantage d’intrigues politiques. Or elle justifie cette indifférence supposée de la philosophe et mathématicienne par le fait que rien n’atteste qu’elle ait pris la défense des païens lors du siège du Sérapéion, et que son intervention aurait sans doute donné lieu à des témoignages. Je ne sais si l’on peut donner autant d’importance à l’absence de données, et cela rejoint le problème que j’ai eu avec cette biographie : on fait dans une grande mesure confiance à l’érudition et l’expertise de l’autrice, mais on n’a pas toujours les éléments qui permettrait de juger par soi-même. Même la préface de Monique Trédé semble indiquer une certaine réserve quant à certaines prises de position de l’autrice.


Enfin, j’ai lu cette biographie d’Hypatie après avoir vu Agora, le beau film qu’Alejandro Amenabar a consacré à cette figure de la fin de l’Antiquité, et je le recommande fortement. En lisant le livre, on se rend compte qu’il est assez fidèle à la réalité, car beaucoup de ses péripéties sont des événements attestés dans les textes.


Ascyltus
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le 21 déc. 2022

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