Je suis un peu perdue.


Je suis entrée dans ce roman sans grande conviction, sachant qu'on m'avait spoilé la fin (à ma demande, puisque je ne comptais jamais le lire). Ma mère l'a aimé, j'étais donc méfiante tant nos goûts diffèrent. En fin de compte, je ne sais même pas ce que j'en ai pensé.


Il s'agit d'un roman, et il est utile de le préciser, tant le témoignage semble vraisemblable. Eva, la narratrice, adresse des lettres à son mari, et retrace l'évolution de leur fils et de leur famille. Loin de l'archétype de la mère courage aimante et dévouée, Eva est froide, cynique, et porte un regard désabusé tant sur la société américaine (sur laquelle elle semble s'acharner, drapée dans son aura de grande voyageuse) que sur son propre enfant. Ce n'est pas elle qui vous racontera que "on oublie tout quand on se noie dans les yeux de son enfant", keur keur. Ce n'est pas le genre à partager sur Doctissimo des photos émerveillées des derniers progrès de sa progéniture. Elle n'enverra pas de texto à tout son répertoire pour vous apprendre que son fils a dit "Kapoué".


Dès le départ, avoir Kevin semble être une erreur. Conçu sur un coup de tête pour satisfaire le désir de son mari, qu'elle aime passionnément, le petit garçon n'est accueilli que par la méfiance et le rejet. La grossesse est un passage désagréable où on passe dans le domaine public, où chacun se permet de critiquer ce que l'on mange, boit, la manière dont on bouge et les engagements qu'on compte prendre. La naissance n'est pas une révélation mystique, et le nouveau-né geignard semble un empêcheur de tourner en rond. Dès le départ, Kevin s'en prend plein la tronche : il rejette le sein (c'est sûrement contre moi), il hurle toute la journée (c'est sûrement contre moi), il épuise des dizaines de nounous (vous voyez bien que ce n'est pas qu'avec moi !).


Stop. Je ne suis pas pour accabler les mères, puisque j'en suis une. Je déteste qu'on rejette la faute systématiquement sur les mères, qui ne savent plus sur quel pied danser : trop absentes, exagérément présentes, trop gentilles, trop sévères... C'est un jeu que nous sommes condamnées à perdre, puisqu'on fera toujours un truc qui cloche. Pas besoin d'en rajouter des couches supplémentaires en sautant à la gorge des autres.


Je pense aussi qu'un enfant nait avec son esquisse de caractère, qu'ils sont tous différents.Il y en a qui seront dès le départ calmes et souriants, d'autres qui vont gueuler comme des gorets et sembler pleurer comme un rien. Il y a des enfants faciles, d'autres qui demandent plus de patience et de courage.


Mais je ne peux pas, vraiment pas, même en essayant très fort, croire qu'un enfant naît mauvais. Je ne crois pas au mal absolu. Je ne peux pas adhérer aux propos d'Eva, quand elle prête à son fils de quelques mois à peine des talents de manipulateur. Quand elle prétend qu'il apprend les choses seul pour ne pas lui donner la satisfaction de se sentir utile en tant que mère, je grince des dents.


Le père, en ce qui le concerne, semble vouloir se conforter à un modèle de famille américaine idéale. Il adorerait que Kevin entre dans le moule du fils aimant, sportif, fan de base-ball... et peu lui importe, au fond, que tout ne soit qu'apparence. Il aime l'image qu'il se fait de son fils... Mais cherche-t-il à savoir réellement qui il est ? Il s'entête au point de refuser d'écouter les multiples signaux d'alarme qui auraient pu éviter le massacre, de mépriser les avertissements de sa femme.


Eva est brillante dans son analyse de la situation. Elle est très lucide, et ne fait de cadeaux à personne. Ses remarques sont la plupart du temps plausibles, et aident à décortiquer leur mode de fonctionnement. C'est un personnage formidable : on l'aime et on la déteste tour à tour. Son comportement avec son fils donne dans un premier temps l'envie de la secouer un bon coup, mais la solitude dans laquelle elle se trouve enfermée par la suite la rend presque admirable.


C'est un livre fascinant, un bon page-turner, redoutable et efficace. Un de ces romans qui engendrent une réflexion qui tourne longtemps dans la tête... et risque de vous faire regarder vos enfants d'un air suspicieux, si vous en avez. Après tout, ce petit psychopathe n'a-t-il pas pris plaisir à écraser des fourmis ?


Méfiez-vous. On ne sait jamais.

Aelyse
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le 30 avr. 2015

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Aelyse

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