Intersectionnalité - éviter de nourrir les discriminations croisées

C'est à un des ouvrages critiques du mouvement "woke" (je crois de Braunstein) que je dois la découverte de l'existence de Kimberle Crenshaw et de ce livre intitulé Intersectionnalité.

Ce petit ouvrage d'environ 200 pages n'est pas un essai, mais une compilation qui comporte la traduction de deux articles intitulés respectivement démarginaliser l'interaction race / sexe d'une part et cartographier les marges d'autre part.

Dans le premier cas, il s'agit de faire suite à des discriminations dont des femmes noires auraient été victimes aux États-Unis dans leur licenciement: en tant que femmes noires elles avaient été les dernières embauchées et les premières remerciees, la où les hommes noirs ou les femmes blanches n'avaient pas subi ce traitement. Plaidant devant un tribunal elles n'avaient pu défendre leur cause en s'appuyant sur une discrimination du fait de leur genre-dans l'ensemble toutes les femmes n'étaient pas discriminées dans l'entreprise -ni du fait de leur race/ethnie, tous les afro américains n'ayant pas été discriminés. C'est à cet enjeu de cumul des facteurs discriminants, ne s'integrant dans aucune case antidiscriminatoire que répond l'Intersectionnalité: sans le cumul du statut de femme et d'afro-américaine on ne saisit pas la spécificité de leur marginalisation sociale.

Dans le second cas il s'agit de violences conjugales, sexistes et a

sexuelles subies par les femmes noires et de leur appréhension. En résumé il s'agit de la même problématique que mentionnée précédemment : le cumul des facteurs discriminants entraîne une discrimination propre, mais cette fois ci encore aggravée par le fait que la lutte séparée contre les discriminations de genre et les discriminations de race entraîne l'invisibilisation de la souffrance de ces victimes aux intersections, sommées de choisir leur camp et victimes de préjugés sur leur identité tant de genre / sexe que de couleur de peau.

Comment ? Hé bien parce que dans le cas du viol ou de la violence contre les femmes noires cette compétition de discriminations se traduit par:

- Pile: elles sont des femmes, mais étant noires elles sont soupçonnees d'être moins pures que des épouses blanches, étant victime des stereotypes de couleurs, donc leur parole n'est pas pris en compte et comme elles sont noires, le viol et la violence est supposé intrinsèquement lié à leur communauté donc n'est pas pris en compte ou minimisé au nom des biais "blancs" dominants sur les noirs;

- Face: elles sont noires avant d'être femmes, donc elles sont priées de ne pas attiser la haine contre les Noirs en général et les hommes noirs en particulier en soutenant que ceux ci seraient violents ou violeurs, parce que cela a permis (exemples à l'appui) et permettrait au racisme blanc d'avoir ses prétextes pour lyncher du noir.

En somme. Pile les femmes de couleur perdent, face elles ne gagnent pas. Les politiques antiracistes tendent à subordonner leurs besoins à ceux de la cause de leur communauté. Les politiques féministes se construisent sur l'expérience de femmes blanches qui pour s'émanciper... abandonnent à celles de couleur les tâches jugées ingrates et créent des barrières qui excluent de facto les femmes de couleur, par exemple en exigeant pour être accueillie dans un refuge pour femmes battues de participer à des groupes de parole en anglais alors que certaines-Crenshaw donne l'exemple d'une hispanique-n'en parlent pas un traître mot.

D'où l'appel de Crenshaw à réfléchir de façon intersectionnelle, c'est à dire en regardant les spécificités du statut cumulant femme et personne de couleur ce qui s'entend parfaitement. Crenshaw pousse toutefois le raisonnement en affirmant en outre que cumulant les handicaps sociaux /sociétaux elles seraient plus capables de porter des messages permettant de prendre en compte les spécificités de leur genre et de leur communauté à la fois, ce qui est moins convaincant.

Il ne s'agit d'ailleurs pas pour Crenshaw de nier l'importance d'autres composantes de l'identité-richesse, classe sociale-mais davantage de ne pas arbitrer entre celles ci afin d'œuvrer pour répondre aux besoins de ces femmes de couleurs sont l'expérience spécifique et le cumul des difficultés les rend à la fois vulnérables et peu écoutées dans une société où leur problèmes sont abordés séparément. Bref elle préconise de partir d'une approche centrée sur les besoins que le vécu de ces minorités fait apparaître plutôt que de nier ces besoins au nom d'un combat contre leurs discriminations.


Relativement court, cet ouvrage permet de mieux comprendre l'intersectionnalité pèche un peu par manque de statistiques pour prouver ses dires, tirant son argumentaire de multiplication des exemples, et par un manque de propositions au delà du concept titre-même si étant la compilation de deux petits articles ce n'était peut être pas le sujet.

A la fin, on peut parfaitement reconnaître la pertinence de lutter contre les angles morts des politiques antidiscriminatoires traditionnelles, que Crenshaw met bien en lumière. Il paraît en effet nécessaire d'élargir la focale pour ne pas asseoir une discrimination en voulant en combattre une autre.

En revanche la thèse selon laquelle, au delà même du traitement de ces angles morts, les minorités victimes du cumul de discriminations pourraient porter des politiques nécessairement plus pertinentes que les hommes de couleur pour le cadre communautaire ou que les femmes blanches pour le féminisme du fait de leur vécu est en revanche moins convaincante. Inclure leur vécu pour le prendre en compte oui, faire de leur vécu l'étalon de référence pour des personnes aux vécus différents au motif qu'on les embarquerait aussi me semble plus relever du sophisme que de la démonstration, surtout après avoir soutenu que leur vécu était justement spécifique...

Lestrade
6
Écrit par

Créée

le 14 nov. 2023

Critique lue 3 fois

Lestrade

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur Intersectionnalité

Intersectionnalité
Lestrade
6

Intersectionnalité - éviter de nourrir les discriminations croisées

C'est à un des ouvrages critiques du mouvement "woke" (je crois de Braunstein) que je dois la découverte de l'existence de Kimberle Crenshaw et de ce livre intitulé Intersectionnalité. Ce petit...

le 14 nov. 2023

Du même critique

Zemmour contre l'histoire
Lestrade
7

Un pamphlet contre un polémiste

Petit exercice de rétablissement, non des faits, mais plutôt du point où se trouve la recherche historique sur bien des sujets invoqués par Eric Zemmour. Y sont abordés notamment : - Clovis - Les...

le 27 févr. 2022

6 j'aime

Indiana Jones et le cadran de la destinée
Lestrade
4

Indiana Jones et le script de la destinée

Tout est dans le titre. Je n'ai pas passé un mauvais moment. Il y a de l'action, des choses drôles, un troll gratuit sur l'humour allemand et Harrison Ford incarne bien un héros vieillissant après un...

le 29 juin 2023

5 j'aime

1

Le Wokisme serait-il un totalitarisme ?
Lestrade
7

L'opium des intellectuels 3.0

Dans ce bref essai, d'environ 170 pages Nathalie Heinrich s'attaque, après d'autres, à un thème très en vogue dans le débat public contemporain : le wokisme, avec un titre accrocheur qui laissait...

le 27 mai 2023

4 j'aime

9