Incontournable Août 2022


Une autre belle trouvaille pour la collection Deuzio de la maison Alice, qui sait vraiment choisir ses thèmes, je trouve. Ce sont pratiquement tous des sujets sociaux réalistes dont la dimension humaine est au cœur de la démarche.



Lou est au poste de police, où elle doit expliquer à un inspecteur le déroulement des derniers jours, ceux où elle a "kidnapper" sa propre grand-mère atteinte d’Alzheimer. Sur un ton où perce l'humour, Lou nous ramène donc à ce jour où elle est allée voir sa grand-mère dans la résidence où elle vit. Cette dernière s'est mise à croire que son fils viendrait la chercher tôt le matin suivant. Mais ce n'est pas dans ses projets. Pas plus que de prendre mamie à la maison, d'ailleurs, même si Lou a tenté cette solution, épaulée de sa petite sœur. Quand elle imagine sa grand-mère les attendre, ça lui brise le cœur. Aussi, elle décide d,aller la chercher elle-même, en pleine nuit, pour l'amener où elle voudra. Étonnament, la jeune fille ne rencontre aucuns problèmes à entrer dans la résidence et faire évacuer sa mamie par la fenêtre avec une corde de draps noués. Quand Lou lui demande ce qu'elle voudrait, sa mamie réponds qu'elle souhaiterait revoir son époux, Albert André. C'est ainsi que Lou et sa mamie vont faire une traversée de la Belgique, du bords de la mer à la capitale, à bord d'un train, le tout ponctué d'halte gastronomiques. Mais si la mamie n'a rien perdu de son appétit, sa mémoire en revanche est comme les vagues: elle vient et elle va.



J'avais été ravie de l'arrivé du roman de Mickaël Brun-Arnaud, qui a réussi à créer un monde doux et chaleureux tout en abordant le sujet de la maladie d'Alzheimer. C'est donc une joie de retrouver ici ce thème, dans un roman tout aussi doux et où la dimension de voyage se superpose à celui d'une mémoire fragmentée et mouvante.



Les illustrations de De Haes sont d'ailleurs un peu dans cette veine. Les dessins sont partiellement un décor, mais aussi partiellement un autre élément, qui se fondent l'un dans l'autre, à l'image de ces gens qui ont une mémoire entre passé et présent dont les frontières sont devenues floues. Un pavé qui devient gaufre, un décor qui devient jungle, une mamie entourée des bulles de son bain, tenant une Lou encore nouvelle-née. Les images sont douces, en crayon plomb sans couleurs, mais elles collent bien avec le récit. La couverture aussi est superbe, avec ce jaune d’œuf qui côtoie le bleu outremer, avec la silhouette de la mamie en relief, discrètement découpé par les arbres...Bon, la jaquette était de trop: C'est du pur gaspillage les jaquettes, surtout quand elles sont exactement identiques à la couverture.



C'est un récit sur la relation grand-mère-petite-fille, sur la richesse du voyage, sur les belles rencontres, sur la bonne bouffe aussi! C'est une quête sur une personne disparue, certes, même si, tout comme "les mémoires de la forêt", on peut deviner où se trouve le disparu en question. C,est avant tout une histoire sur l'importance du temps de qualité avec nos proches. En outre, si la maladie d’Alzheimer fait peur, ce qui faut surtout, c'est de la patience et de l'empathie. Ce n'est pas facile de voir nos proches vivre avec un pied dans la réalité et l'autre dans les souvenirs, mais ce doit être particulièrement pénible aussi pour les principaux concernés.



Je remarque une différence entre le personnage de Lou et de son père sur la façon de percevoir et traiter la mamie. Pour le père de Lou, mamie est en quelque sorte une enfant, un être fragile qui demande beaucoup de soins et dont il faut parfois prendre des décisions à sa place, comme par exemple la bière. Quand mamie demande de la bière agrémentée de grenadine, le père invalide sa décision et lui prend plutôt un chocolat chaud. Un peu plus tard, quand Lou va à la mer avec sa mamie, cette dernière se commande une bière agrémentée de grenadine, comme l'adulte qu'elle est. Lou guide sa grand-mère, plutôt que de lui imposer des choses. Lou a aussi la délicatesse de remarquer son état et ses réponses se modulent à celui-ci. Certaines répétitions sont vaines, autant arrêter de les lui enfoncer dans la tête, elles n'y resteront pas. Mais quand au contraire elle est lucide, c'est le moment de poser des questions. Lou, même si c'est une enfant, se comporte de manière plus mature et plus empathique avec sa mamie que les adultes. Du reste, pour Lou, c'est l'occasion de vivre. "Vivre" dans le sens réel du terme, une expérience avec sa grand-mère, pas juste dans un cadre impersonnel, mais avec une quête commune, un projet commun. Deux choses à dégager donc: éviter L'infantilisation de nos aînés et se montrer empathique à leurs souhaits et leurs besoins, dans la mesure du possible. On promeut souvent l'importance de l'amour, mais promouvoir l'empathie, cette capacité à se mettre à la place de l'autre pour mieux cerner son besoin ou son état, est tout aussi primordiale dans une relation, peut importe sa nature. C'est l'empathie qui nous mène vers la compassion, la patience et la sincérité.



Bref, un beau roman amusant et mettant en vedette un duo de filles qui parviennent à vivre de belles choses malgré un gros écart d'âge. Une belle leçon sur l"empathie également.



Pour un lectorat à partir du second cycle primaire, 8-9 ans.

Shaynning

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