Charles Nemes, figure méconnue de l’humour français, est un artisan œuvrant dans l’ombre de bon nombre de comiques très célèbres. Cela a commencé avec la troupe du Splendid, pour laquelle il a réalisé un court-métrage. Cela a continué avec la série H, dont il a réalisé la plupart des épisodes, puis avec la Tour Montparnasse Infernale, l’un des plus gros succès d’une comédie française au cinéma. Alors s’est amorcée une sorte de mise en retrait, avec des films plus ou moins (plutôt moins que plus) respectés, comme l’adaptation de la pièce de théâtre Le Carton ou Hotel Normandy. Reste que pendant presque vingt ans, Nemes, derrière l’homme discret, derrière ses lunettes de théâtreux rêveur, a tiré parfois à lui seul les ficelles d’une industrie tout entière, concevant sans tambour ni trompette certains des plus gros bulldozers comiques de son époque.


Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, en me promenant sur une boutique d’e-books, qu’il exerce aussi depuis quelques années le métier d’écrivain. Et, je dois le dire, plutôt bien, le bougre. Premier roman d’une série de six à ce jour, « Je hais mon chien » n’a rien à voir avec ce que Charles Nemes a montré de lui, ou plutôt, n’a pas montré de lui dans ses réalisations. Ici, l’humour est discret, effacé. Ici, on ne rit pas, ou alors jaune. On a, pour la première fois, l’impression de mieux connaître un inconnu. Bien sûr, il vaut mieux s’intéresser à l’homme, être familier de son œuvre pour apprécier le sel de ce roman. Mieux vaut avoir goûté à l’absurdité de H ou des pitreries cinématographiques d’Eric et Ramzy avant de se lancer dans cette lecture. On n’en savoure alors que mieux l’opposition radicale, le gouffre de ton et de contenu qui les sépare.


« Je hais mon chien », publié en 2003, raconte une crise de la cinquantaine. Celle de Paul, prénom qui illustre déjà une certaine inspiration de l’auteur : difficile de ne pas tracer des liens entre le style de Nemes et celui de Jean-Paul Dubois, très publié en ce temps et qui affublait chacun de ses personnages de ce prénom générique. Paul, le Français lambda, désabusé et triste, qui enterre sa jeunesse et se résigne à la vieillesse. Paul, le névrotique banal, le dépressif commun, l’homme entre deux âges, un peu lâche et menteur, manipulateur et sans relief. Tout au long de l’histoire, on s’imagine en réalité dans un roman de Dubois, dont Nemes reprend, sans plagier, le style acide et blasé, ce réalisme brut et distancié, plein d’une certaine poésie amère. Paul est seul. Paul rend responsable sa chienne des échecs de sa vie. Ecrivaillon raté, il se lance dans la rédaction d’un réquisitoire contre l’animal, ravivant ses souvenirs d’histoires d’amour ratées et de mauvais choix de vie.


J’ai eu à de nombreux instants l’impression de lire un récit autobiographique. Je n’ai pu m’empêcher de voir dans Paul les traits rêveurs de Charles, d’entendre sa voix (qui résonna, il fut un temps, aux micros de France Inter). On sent que l'auteur a mis dans ce livre des morceaux de lui-même, on sent aussi d’une certaine façon qu’il se met en danger, à travers cet humour acide et cette noirceur ambiante où l’on assiste, impuissant, à la descente aux enfers de Paul. Le style est assuré, la phrase est simple et forte, et si le roman ne (ré)invente clairement rien, il est indéniable que Charles Nemes possède une vraie plume, un talent pour écrire des histoires sombres et ironiques que ses collaborations artistiques n’avaient jamais permis de faire éclore. Cela fait de « Je hais mon chien » une véritable curiosité, à tenter pour qui voudrait mieux comprendre un personnage-clé de l’histoire récente de l’humour français, qui, semble-t-il (vu son dernier film) se dirige tranquillement vers un style moins tapageur, s’éloigne à petits pas de l’humour pour tracer une route plus calme.

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le 3 sept. 2018

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Seb C.

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