« Brave, loyal et franc, il
N’a jamais fui son devoir
Jamais trahi un ami -
Jamais épargné l’ennemi »

Je n’appartiens pas à cette catégorie du public tombant en pâmoison à la seule mention du nom de Robert Redford. Je n’appartiens pas davantage aux talibans verts (aucun rapport ici avec la couleur de l’islam) qui placent la nature par-dessus tout, y compris les droits des plus démunis, mais sans remettre en question leur propre confort personnel. Pourtant, je reconnais que Jeremiah Johnson fait partie des longs métrages qui m’ont durablement marqué. La vengeance de ce trappeur solitaire, sa guerre ouverte contre les Crows, les paysages somptueux des Rocheuses et un propos un tantinet pessimiste sur la sauvagerie et la civilisation, tout cela a contribué à propulser ce film dans le peloton de tête de mes westerns préférés.
Imaginez alors ma stupeur en apprenant que l’œuvre de Sydney Pollack s’inspirait d’un personnage bien réel, un homme de la Frontière dont les aventures furent collectées par un folkloriste, Raymond W. Thorp, puis mises en forme par un écrivain populaire, Robert Bunker. Un bonhomme à la stature légendaire, comparable en cela à d’autres figures de la Frontière, beaucoup moins glamour que Robert Redford. Un homme dont le film de Pollack n’a retenu qu’une partie des exploits, atténuant leurs aspects les plus rugueux (cannibalisme avéré, cruauté et barbarie).
Passé mon étonnement, la crainte s’est emparé rapidement de mon esprit. Celle de lire une compilation de témoignages décousus. Car pour retracer l’histoire de John Johnson, connu aussi sous le nom de John Johnston, Raymond W. Thorp a collecté les récits oraux à leur source : auprès des Montagnards survivants, cette fraternité de trappeurs, chasseurs et tueurs d’Indiens. Ceux qui avaient connu Johnson, mais aussi ceux qui avaient entendu l’histoire de ses aventures pendant les rendezvous où ils se rencontraient régulièrement. A posteriori, je me rends compte qu’il s’agissait d’un préjugé car le roman que Robert Bunker tire des recherches de Thorp s’avère à tout point de vue passionnant et même parfois fort drôle, en dépit des tueries d’une violence inouïe qui y sont mentionnées.

Jeremiah Johnson – Le Mangeur de foie dresse le portrait d’un Far West légendaire, assez proche en cela, du moins dans la manière de raconter, des sagas mythologiques scandinaves ou irlandaises. On se trouve ainsi projeté en terrain connu, celui de la culture orale où les faits se mélangent au merveilleux pour le plus grand profit des conteurs. Attention, ne nous méprenons pas. Il n’y a guère de magie et de créatures surnaturelles dans cette « saga ». En fait, il n’y a même aucune. Mais, à l’instar de Beowulf ou de Cuchulainn, John Johnson se voit doté de qualités héroïques. Par sa stature de géant, sa capacité à flairer les Indiens, lui permettant de déterminer leur nombre et leur tribu, sa poigne et son coup de pied redoutables, littéralement mortel pour le second dans les combats à mains nues, le Montagnard se montre l’égal de ces figures légendaires. Ajoutons à cela ses montures successives, toutes dotées d’une endurance exceptionnelles et ses armes, un Army Colt calibre .45, un tomahawk en pierre et un couteau Bowie accroché à la ceinture, affûté de manière à trancher un cheveu flottant dans l’air.
Les aventures de Johnson se déclinent sous la forme d’une succession de quêtes. Passé l’apprentissage en compagnie d’un trappeur plus âgé, le héros s’engage dans un cycle de vengeance et de représailles contre la tribu des Crows. L’épisode qui dure quatorze années, contribue à forger sa réputation. Il devient Dapiek Absaroka, le tueur de Crows, ou Johnson le Mangeur de Foie.

« Il est indubitable que le récit de la totalité des vingt morts aurait illustré toute l’étendue des talents et surtout l’aptitude de Johnson à évaluer les capacités d’autrui et les modes de déplacement de ses adversaires. Mais l’accumulation de ces récits – dont la chute aurait invariablement été : Il arracha le scalp, fit une entaille sous les côtes et mangea le foie dégoulinant – serait devenue non seulement monotone mais aussi intolérablement écœurante. Apparemment, Johnson le Mangeur de Foie servit mieux sa légende en confiant ce chapitre à l’imagination de ses contemporains – et à la nôtre. »

Ainsi, l’absence de témoins et le silence de Johnson lui-même permettent de dresser un voile pudique sur les violences accomplies durant cette longue vendetta. Il n’en demeure pas moins qu’elle pose son homme. Désormais, la postérité du trappeur est garantie.
Pourtant, ce n’est pas l’unique exploit qu’il accomplit. Son évasion du camp Blackfoot où il a été emprisonné, se révèle un autre moment fort de son existence. Après avoir assommé son gardien, lui avoir pris son scalp et tranché une de ses jambes, Johnson parcourt près de 300 kilomètres à pied, torse nu, dans le blizzard, pour regagner sa cabane. Il survit à ce périple grâce à sa connaissance des lieux et à la jambe de l’Indien qui lui sert à la fois de casse-croute et de gourdin dans un combat contre un couguar, puis un grizzli.
Au cours de ses pérégrinations dans les Rocheuse, le Montagnard participe à bien d’autres aventures. Il prend part à la guerre civile, mais l’expérience lui déplaît, participe en compagnie d’autres Montagnards et d’autres tribus indiennes à des expéditions punitives, fait office d’éclaireur auprès de l’armée, puis de shérif. Sa longévité lui permet d’assister à la fin de la Frontière et à l’invasion des Pieds-tendres. Un fait qu’il déplore mais auquel il ne peut finalement rien. Et, c’est à l’âge respectable de 76 ans qu’il meurt, dans un foyer d’anciens combattants de Los Angeles.

Jeremiah Johnson – Le Mangeur de foie se révèle donc une lecture plaisante et indispensable pour qui souhaite effleurer ce Far West légendaire, mélange d’histoire populaire et de merveilleux dont le récit participe à l’Histoire de la conquête de l’Ouest.
leleul
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le 10 juin 2014

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